Flash APRAM n° 405 – Toile à damier Louis Vuitton : échec et mat

Tribunal de l’UE, 17 octobre 2022, T-275/21, EU:T:2022:654, Louis Vuitton Malletier / EUIPO – Wisniewski

Chers Amis,

Voici un arrêt intéressant rendu par le Tribunal, point d’orgue d’une saga judiciaire entamée en 2015 sur la délicate question de la preuve du caractère distinctif d’une marque de l’Union européenne acquis par l’usage.

En 2008, la société Louis Vuitton Malletier dépose un échantillon de sa célèbre toile à damier à titre de marque de l’Union européenne pour désigner des produits de maroquinerie en classe 18.

Cette marque est enregistrée mais un citoyen polonais, Norbert Wisniewski, présente en 2015 une demande en annulation de cette marque pour défaut de caractère distinctif.

La division d’annulation puis la chambre de recours annulent la marque, considérant que (i) la marque est dépourvue de caractère distinctif intrinsèque et que (ii) la preuve d’un caractère distinctif acquis par l’usage n’est pas rapportée.

Le 10 juin 2020, le Tribunal confirme l’absence de caractère distinctif intrinsèque : « le motif à damier est un motif figuratif basique et banal, puisqu’il se compose d’une succession régulière de carrés de la même taille qui se différencient par une alternance de couleurs différentes, l’une claire et l’autre foncée, en l’occurrence le bleu et le beige. Ce motif ne comporte ainsi aucune variation notable par rapport à la représentation conventionnelle de damiers et coïncide avec le modèle traditionnel d’un tel motif. » (T-105/19, EU:T:2020:258). Le Tribunal annule néanmoins la décision, car la chambre de recours n’a pas examiné, à propos de l’acquisition du cractère distinctif par l’usage, l’ensemble des éléments de preuve pertinents présentés par Louis Vuitton Malletier.

Sur renvoi, la cinquième chambre de recours considère que le caractère distinctif par l’usage dans l’ensemble de l’Union européenne n’est pas démontré.

C’est contre cette décision que Louis Vuitton Malletier introduit un recours. Elle invoque la violation des articles 7, § 3, et 59, § 2, du RMUE.

Le Tribunal rappelle les conditions auxquelles la reconnaissance d’un caractère distinctif acquis par l’usage est subordonnée et en particulier l’étendue géographique de la preuve à apporter : « s’agissant d’une marque dépourvue de caractère distinctif ab initio dans l’ensemble des Etats membres, une telle marque ne peut être enregistrée en vertu de cette disposition que s’il est démontré qu’elle a acquis un caractère distinctif par l’usage dans l’ensemble du territoire de l’Union » (point 24).

Si, certes, « aucune disposition du Règlement […] n’impose d’établir par des preuves distinctes l’acquisition d’un caractère distinctif par l’usage dans chaque Etat membre pris individuellement » (point 26), les preuves rapportées « doivent néanmoins permettre de démontrer une telle acquisition dans l’ensemble des Etats membres de l’Union » et « non une partie substantielle ou la majorité du territoire de l’Union » (point 28).

Partant, le Tribunal approuve la chambre de recours d’avoir décidé d’examiner en premier lieu si la marque « toile à damier » avait acquis ce fameux caractère distinctif par l’usage fait en Bulgarie, en Estonie, en Lettonie, en Lituanie, en Slovaquie et en Slovénie », pays où Louis Vuitton Malletier ne possédait pas de boutiques, se réservant l’examen de l’usage dans les autres pays au cas où cette première étape serait franchie avec succès (Point 33).

Le Tribunal se focalise donc sur l’appréciation faite par la chambre de recours des éléments de preuve fournis pour ces Etats membres et constate que le caractère distinctif de cette marque n’a pas été établi dans ces territoires, à l’exception de l’Estonie.

Dès lors, le caractère distinctif de la marque de l’Union européenne « toile à damier » n’est pas établi « dans l’ensemble des Etats membres de l’Union » et le recours est rejeté (point 141)

Commentaire

Cet arrêt confirme la grande difficulté de faire reconnaître au niveau européen le caractère distinctif acquis par l’usage, lorsque la marque s’est vu refuser un caractère distinctif intrinsèque. Il vaut sans doute mieux dans ces cas envisager des dépôts de marques nationaux ou Benelux (outre bien sûr, si cela est possible, un éventuel dépôt de dessin ou modèle). En l’espèce, on devine que Louis Vuitton Malletier pourra néanmoins convertir sa marque de l’Union européenne en de telles marques.

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Equipe FLASH

Guillaume Marchais – Tanguy de Haan – Stève Félix – Benjamin Mouche

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