FLASH APRAM 220 : Juste motif

Cour de justice UE, 6 février 2014, C-65/12, Leidseplein Beheer et H. de Vries (THE BULLDOG) / Red Bull (RED BULL)

Chers Amis,

On sait que l’article 5, § 2, de la directive sur les marques et ses équivalents nationaux confèrent au titulaire d’une marque renommée le droit exclusif de faire cesser l’usage dans la vie des affaires d’un signe ressemblant pour des produits identiques, lorsque cet usage est fait « sans juste motif » et tire indûment profit du caractère distinctif ou de la renommée de la marque ou leur porte préjudice.

En l’espèce, à la requête de la société Red Bull, titulaire de la marque renommée RED BULL déposée en 1983, M. de Vries avait été condamné par la cour d’appel de La Haye pour avoir fait usage dans le Benelux du signe THE BULLDOG pour des boissons énergétiques. Red Bull avait vu rouge …

M. de Vries introduisit un pourvoi devant le Hoge Raad des Pays-Bas en prétendant qu’il jouissait d’un « juste motif », car il était acquis que M. de Vries utilisait, avant 1983, le signe THE BULLDOG pour des services de restauration et de débit de boissons dans le cadre desquels il vendait des boissons non alcoolisées.

Le Hoge Raad hésitait à appliquer la notion de « juste motif » telle qu’interprétée depuis 1975 par la Cour de justice Benelux, à savoir comme étant limitée à une nécessité objective. Il a donc demandé à la Cour de justice de l’Union européenne si l’usage par un tiers d’un signe similaire à une marque renommée pour un produit identique à celui pour lequel cette marque a été enregistrée est susceptible d’être qualifié de « juste motif », dès lors qu’il est avéré que ce signe a été utilisé antérieurement au dépôt de la marque.

La Cour de justice répond en disant que la notion de « juste motif » ne saurait être interprétée comme se limitant à des raisons objectivement impérieuses, mais peut « se rattacher aux intérêts subjectifs d’un tiers faisant usage d’un signe identique ou similaire à la marque renommée » (points 45 et 48). La protection renforcée dont bénéficient les marques renommées n’est pas inconditionnelle (point 42).

En vertu d’un « juste motif », le titulaire d’une marque renommée peut se voir contraint de tolérer l’usage d’un signe similaire à cette marque pour un produit identique à celui pour lequel la marque est enregistrée, dès lors qu’il est avéré que ce signe a été utilisé antérieurement au dépôt de la marque et que l’usage fait (ultérieurement) pour le produit identique l’est de bonne foi (point 60). Pour apprécier si tel est le cas, il appartient au juge de tenir compte :

–           « de l’implantation et de la réputation du signe auprès du public concerné ;

–           du degré de proximité entre les produits et les services pour lesquels le même signe a été originairement utilisé et le produit pour lequel la marque renommée a été enregistrée ; et

–           de la pertinence économique et commerciale de l’usage pour ce produit du signe similaire à cette marque » (dispositif).

Brefs commentaires

1.         Il appartient à présent aux juges néerlandais d’apprécier si, au regard de la chronologie, l’usage litigieux apparaît comme une extension naturelle de la gamme de produits et services pour laquelle le signe était utilisé avant le dépôt de la marque invoquée, ou s’il s’agit d’un placement dans le sillage de la marque renommée.

2.         L’utilisation du terme « implantation du signe » (aux points 54 et 60 de l’arrêt, ainsi que dans le dispositif) semble être une traduction maladroite du terme néerlandais inburgering, lequel fait référence au processus de « familiarisation » du public concerné, par lequel une marque acquiert ou renforce son caractère distinctif par l’usage (voy. CJUE, Libertel, C-104/01, point 67 ; CJUE, Mag, C-136/02P, point 47).

Cliquez ici pour le texte complet de l’arrêt Red Bull, C-65/12

Equipe FLASH

Tanguy de Haan ­– Marianne Schaffner – Agnès Hasselmann-Raguet – Stève Félix