Flash APRAM n° 205 – Contre la montre …
Tribunal UE, 25 avril 2013, T-80/10, Bell & Ross / OHMI – KIN
Chers Amis,
L’action en nullité d’une marque ou d’un modèle communautaire est portée soit, à titre principal, devant l’OHMI, soit, à titre reconventionnel, devant les tribunaux des marques ou modèles communautaires. En pratique, il arrive cependant que l’action en nullité soit portée devant les deux instances, ce qui pose alors la question de savoir laquelle peut ou doit surseoir à statuer au profit de l’autre.
L’arrêt du 25 avril 2013 du Tribunal de l’UE apporte quelques éléments de réponse. Dans cette affaire, la société Bell & Ross avait introduit devant le tribunal de commerce de Paris une action en contrefaçon d’un modèle communautaire sur une montre d’aviateur de forme carrée avec, au centre, un cadran rond bombé. La défenderesse, la société KIN, riposta en postulant la nullité du modèle, notamment pour défaut de caractère individuel, en introduisant une demande principale devant l’OHMI et puis, le lendemain, une demande reconventionnelle devant le tribunal. La société KIN demanda au tribunal de surseoir à statuer jusqu’à ce que l’OHMI ait rendu sa décision sur la demande en nullité. A l’inverse, la société Bell & Ross demanda à l’OHMI de surseoir à statuer jusqu’à l’issue de l’action en contrefaçon.
Le tribunal de commerce de Paris rejeta la demande de surséance à statuer introduite par la société KIN, mais se déclara incompétent pour statuer sur la demande reconventionnelle en nullité du modèle communautaire. Sur le fond, la société Bell & Ross fut déboutée de son action en contrefaçon en raison du manque de nouveauté et de caractère individuel du modèle. La société Bell & Ross frappa ce jugement d’appel. Peu après, la division d’annulation de l’OHMI annula le modèle, décision contre laquelle la société Bell & Ross introduisit un recours. La cour d’appel de Paris décida, quant à elle, de surseoir à statuer sur l’appel dans l’attente de la décision de la chambre de recours de l’OHMI. Celle‑ci confirma l’annulation du modèle en cause.
Le Tribunal de l’UE rejette le recours de la société Bell & Ross en donnant doublement raison à l’OHMI de ne pas avoir sursis à statuer. Premièrement, la chambre de recours avait suffisamment de « raisons particulières » de poursuive la procédure (art. 91, § 2, RDMC), à savoir le jugement d’incompétence du tribunal de commerce et l’arrêt de la cour d’appel de Paris. Deuxièmement, de par l’effet dévolutif de la procédure de recours, la chambre devait faire une nouvelle appréciation du litige dans son ensemble, et devait donc tenir compte du fait que la cour d’appel attendait la décision de la chambre de recours de l’OHMI : celle-ci était donc « tenue » de statuer.
*
Quant au fond, le Tribunal de l’UE confirme la nullité du modèle communautaire. Il rappelle que pour en apprécier le caractère individuel, il faut tenir compte du degré de liberté du créateur dans l’élaboration du dessin ou modèle, « mais non de considérations esthétiques et commerciales » (point 98). La détermination du prix des produits visés par le modèle (en l’espèce, des montres vendues à plus de 2.000 EUR l’unité) relève des intentions commerciales de l’entreprise qui les commercialise (points 108 et 121). Dès lors, « les motifs de l’achat des montres par les consommateurs et le fait que celles-ci soient considérées comme des objets à vocation simplement utilitaire ou comme des bijoux ou des accessoires de mode, relèvent de la perception qu’en ont les consommateurs (…), ainsi que de la marque sous laquelle elles sont commercialisées, mais non du dessin ou modèle contesté en tant que tel. Ces considérations sont dès lors sans pertinence aux fins de l’examen du caractère individuel du dessin ou modèle » (points 123 et 124). Il en résulte qu’à l’exception de la présence de certains éléments nécessaires pour qu’une montre puisse remplir sa fonction de donner l’heure, le créateur jouissait d’une « liberté totale » dans l’élaboration d’un modèle de montre (point 125).
Par ailleurs, le Tribunal de l’UE refuse que « les critères relatifs au processus de création du dessin ou modèle contesté, au succès commercial des montres représentées par ce dessin ou modèle, à la reconnaissance qu’elles auraient acquises parmi les amateurs d’horlogerie ainsi qu’à l’apport du dessin ou modèle contesté au monde de l’horlogerie » figurent parmi ceux pouvant être pris en compte pour l’appréciation du caractère individuel d’un dessin ou modèle (point 146).
Comme, en l’espèce, le modèle invoqué présentait trop de similitudes avec un modèle antérieur paru dans un magazine japonais connu des milieux intéressés en Europe, le Tribunal confirme que l’impression globale des deux modèles n’est pas différente. Le modèle communautaire est donc nul.
Cliquez ici pour le texte complet de l’arrêt.
Equipe FLASH
Marianne Schaffner – Tanguy de Haan