Flash APRAM n° 233 – Forme de chaise pour enfants (Tripp Trapp)

Cour de justice UE, 18 septembre 2014, C-205/13, Hauck / Stokke et Peter Opsvik

Chers Amis,

Le design original des célèbres chaises évolutives Tripp Trapp leur confère une protection incontestée par le droit d’auteur.

En revanche, la protection de leur forme par le droit des marques est débattue depuis des années. A l’occasion d’un litige dans le Benelux, la Cour de justice de l’Union européenne vient d’interpréter, pour la première fois, deux motifs de nullité ou de refus d’enregistrement d’une marque tridimensionnelle.

La directive interdit l’enregistrement des marques constituées exclusivement :

– par la forme imposée par la nature même du produit (art. 3, § 1ere, premier tiret) ; ou

– par la forme qui donne une valeur substantielle au produit (art. 3, § 1ere, troisième tiret).

  • La forme imposée par la nature même du produit (art. 3, § 1ere, premier tiret)

Pour l’application de ce motif, il appartient à l’autorité compétente d’identifier tout d’abord les caractéristiques essentielles du signe concerné, « à savoir les éléments les plus importants de celui-ci » (point 21 de l’arrêt). La marque pourra être refusée si elle est exclusivement constituée par « la forme d’un produit présentant une ou plusieurs caractéristiques d’utilisation essentielles et inhérentes à la fonction ou aux fonctions génériques de ce produit » (point 25 et dispositif). Ces caractéristiques essentielles sont celles « que le consommateur pourra rechercher dans les produits des concurrents, étant donné que ces produits visent à remplir une fonction identique ou similaire » (point 26).

Pour tempérer cette formulation assez large, la Cour précise que la marque ne sera pas refusée lorsqu’elle porte sur « une forme de produit dans laquelle un autre élément, tel qu’un élément ornemental ou fantaisiste, qui n’est pas inhérent à la fonction générique du produit, joue un rôle important ou fantaisiste » (point 22).

A noter que l’application de ce motif ne se limite pas aux seuls produits « naturels » (qui n’ont pas de substitut) ou « réglementés » (dont la forme est prescrite par des normes), lesquels manquent, en tout état de cause, de caractère distinctif (point 24).

  • La forme qui donne une valeur substantielle au produit (art. 3, § 1ere, troisième tiret)

La Cour juge que ce motif de refus peut s’appliquer à tout signe constitué exclusivement « par la forme d’un produit ayant plusieurs caractéristiques pouvant lui conférer différentes valeurs substantielles » (point 36 et dispositif).

Par le choix de cette formulation assez large, la Cour indique que le motif de refus ne saurait se limiter à la forme de produits ayant exclusivement une valeur artistique ou ornementale, au risque de ne pas couvrir les produits qui ont, en sus d’un élément esthétique important, des caractéristiques fonctionnelles essentielles (point 32).

Considérer que la forme donne une valeur substantielle au produit n’exclut pas que d’autres caractéristiques du produit (par exemple, la sécurité, le confort ou la qualité) puissent conférer également une valeur importante au produit (points 29 et 30).

Ainsi, l’application du motif de refus ne peut pas être automatiquement exclue lorsque, en dehors de sa fonction esthétique, le produit assure également d’autres fonctions essentielles (point 31).

Pour apprécier si une forme donne une valeur substantielle au produit, « la perception du signe par le consommateur moyen n’est pas un élément décisif », mais peut, « tout au plus », constituer « un élément d’appréciation utile » (point 34). D’autres éléments peuvent rentrer en compte : « la nature de la catégorie concernée des produits, la valeur artistique de la forme en cause, la spécificité de cette forme par rapport à d’autres formes généralement présentes sur le marché, la différence notable de prix par rapport à des produits similaires ou la mise au point d’une stratégie promotionnelle mettant principalement en avant les caractéristiques esthétiques du produit en cause » (point 35).

Bref commentaire

Par ses arrêts Philips (C-299/99) et LEGO (C-48/09P), la CJUE avait statué à l’égard des formes nécessaires à l’obtention d’un résultat technique (art. 3, § 1ere, deuxième tiret). Elle avait rejeté la théorie dite de la « multiplicité des formes » : dès qu’une forme est nécessaire à l’obtention d’un résultat technique, elle ne peut être enregistrée à titre de marque, même s’il existe d’autres formes pouvant obtenir ce même résultat technique.

Dans son arrêt Tripp Trapp, la Cour poursuit, semble-t-il, son interprétation large des motifs de refus de marques tridimensionnelles. Il ne peut y avoir de monopole sur des caractéristiques essentielles et inhérentes à la fonction ou aux fonctions génériques d’un produit. Par ailleurs, si en vertu de différents éléments factuels, la forme donne une valeur substantielle au produit, elle pourra également être refusée à l’enregistrement.

Les temps s’annoncent durs pour les marques de forme. A n’en pas douter, les formes seront plus facilement protégées par le droit d’auteur et celui des dessins et modèles.

Cliquez ici pour le texte complet de l’arrêt Tripp Trapp, C-205/13

Cliquez ici pour la marque de forme en cause (chaise Tripp Trapp)

Equipe FLASH

Tanguy de Haan – Agnès Hasselmann-Raguet – Stève Félix – Guillaume Marchais