FLASH APRAM n° 241 – Chronopost v DHL, déchéance de marque : une décision trop rapide ?

OHMI, 4e ch. de recours, 28 janvier 2015, R2425/2013-4, Chronopost / DHL Express France

Chers Amis,

Voici une récente décision d’une chambre de recours de l’OHMI qui ne va pas manquer de susciter l’intérêt et peut-être même la polémique.

Le sujet est d’importance : les motifs justifiant l’absence d’usage d’une marque.
Cette décision s’inscrit dans le cadre d’une véritable saga procédurale entamée devant les juridictions françaises, et qui se poursuit devant l’OHMI.

Pour résumer : Chronopost est titulaire d’une marque française et d’une marque communautaire WEBSHIPPING (dont le caractère distinctif n’est pas discuté ici). Elle assigne DHL en contrefaçon devant le TGI de Paris en 2004. Le TGI puis la cour d’appel de Paris en 2007 retiennent des actes de contrefaçon à l’encontre de DHL, tant de la marque française que de la marque communautaire, et interdisent la poursuite de ces actes, sous peine d’astreintes.

S’ensuivent deux pourvois en cassation, l’un de Chronopost l’autre de DHL, sur la portée territoriale des mesures d’interdiction, procédures ayant abouti, après avoir interrogé la CJUE (aff. C-235/09), au renvoi de l’affaire devant la cour d’appel, où elle est pendante aujourd’hui.

C’est dans ce contexte de forte concurrence que DHL demande à l’OHMI le 6 juillet 2012 la déchéance de la marque communautaire WEBSHIPPING de Chronopost pour défaut d’usage sérieux, sur le fondement de l’article 51, § 1er, a, RMC.

Le 30 octobre 2013, la division d’annulation accueille la demande en déchéance de la marque communautaire WEBSHIPPING de Chronopost, laquelle forme un recours.

La chambre de recours se prononce sur un point probablement inédit. Chronopost ne conteste pas l’absence d’usage de sa marque WEBSHIPPING, mais invoque un juste motif consistant dans une impossibilité, selon elle, d’exploiter sa marque en raison des procédures françaises précitées et plus précisément parce que DHL, malgré les décisions de condamnation, continue d’exploiter la marque contrefaisante WEBSHIPPING, ce qui empêcherait Chronopost d’utiliser sa propre marque WEBSHIPPING sans créer de confusion.

La chambre de recours suit la thèse de Chronopost et annule la décision de la division d’annulation, considérant qu’il s’agit là de « justes motifs », dont elle rappelle qu’ils doivent être indépendants de la volonté du titulaire de la marque.

D’après la chambre de recours, tel serait le cas en l’espèce : les actes de contrefaçon commis par DHL, lourdement soulignés par la chambre de recours, rendraient impossible pour Chronopost d’utiliser sa propre marque.

Observations

Cette décision n’est pas définitive et n’est pas à l’abri de la critique.

1. Il semble que l’Office soit sorti de son rôle en se prononçant à la place d’un juge national sur la question de la contrefaçon et le respect discutable de décisions judiciaires : « (DHL) elle-même a obstrué l’usage de la marque attaquée par ses actes d’usage, voire de contrefaçon. En réalité, (DHL) s’est approprié une marque communautaire toujours valablement enregistrée par l’un de ses concurrents. Elle a commis les actes en question durant une décennie. A aucun stade des procédures d’opposition devant les tribunaux français, (elle) ne s’est engagée à cesser les actes d’usage litigieux. Aujourd’hui encore, (DHL) ne respecte toujours pas les interdictions d’usage prononcées par les tribunaux français, qu’elles soient ou non déjà devenues définitives » (point 34).

2. La décision de l’Office laisse très perplexe. Si une partie décide de ne pas exécuter les décisions judiciaires favorables qu’elles a obtenues et laisser perdurer un usage contrefaisant interdit sous peine d’astreintes, il nous semble que ce comportement n’est pas « indépendant de la volonté » de cette partie et ne justifie pas valablement l’absence d’usage de la marque.

3. Enfin, quand l’Office conclut son analyse en disant que la solution qu’il a trouvée « est conforme à la justice naturelle » (point 41), il nous semble qu’il confond le cadre légal dans lequel cette administration doit décider.

Cliquez ici pour le texte complet de la décision

Equipe Flash
Guillaume Marchais – Tanguy de Haan – Agnès Hasselmann-Raguet – Stève Felix