Tribunal UE, 26 mars 2015, T-72/14, Compagnie des bateaux mouches / OHMI, EU:T:2015:194
Cour d’Appel de Paris, pôle 5 – chambre 1, 31 mars 2015, RG n°13/23127, Vente-privée.com / Showroomprive.com
Chers Amis,
La question de la distinctivité des marques reste une question majeure pour les titulaires de marques. Deux nouvelles décisions rendues à quelques jours d’intervalle viennent illustrer cette problématique, avec des fortunes diverses.
– BATEAUX MOUCHES
La saga communautaire BATEAUX MOUCHES se poursuit.
Après des décisions rendues en 2008 et 2009, annulant la marque communautaire BATEAUX MOUCHES pour les services de transports par bateaux touristiques et restauration à bord de bateaux, en classes 39 et 42, le Tribunal se prononce cette fois sur le caractère distinctif de la marque BATEAUX MOUCHES déposée le 2 octobre 2011 par la société française Compagnie des bateaux mouches SA pour des « services de construction navale et plus particulièrement de bateaux touristiques et parties constitutives de ces bateaux » en classe 37.
Mêmes motifs… absolus, même punition : le Tribunal rejette le recours formé par la Compagnie des bateaux mouches contre la décision de l’OHMI, qui avait confirmé le rejet ex officio de la marque verbale BATEAUX MOUCHES en classe 37 au visa de l’article 7, § 1er, b et c, et § 2, RMC.
Le caractère distinctif intrinsèque de la marque verbale BATEAUX MOUCHES est dénié par le Tribunal, au regard du public pertinent « constitué des professionnels francophones du secteur de la construction navale » (points 26 et 29), qui constate que « le terme ‘bateau-mouche’ est la dénomination commune, en français, d’un type d’embarcation, à savoir un bateau destiné au transport de voyageurs par voie fluviale à des fins touristiques », et ce depuis la fin du XIXe siècle (points 35 à 37).
Rappelant qu’il avait déjà constaté l’absence de caractère distinctif du terme « bateaux-mouches » pour les activités de tourisme fluvial (TUE, 10 déc. 2008, Bateaux Mouches, EU:T:2008:559, confirmé par CJUE, EU:C:2014:2480), le Tribunal étend le raisonnement aux services en classe 37.
Le Tribunal confirme l’analyse de la chambre de recours qui « après avoir rappelé la définition générique du terme ‘bateaux-mouches’ en langue française », en a déduit que le même public de référence « pourrait croire que le signe demandé indique que les services [en classe 37] pour lesquels son enregistrement est demandé sont destinés à la réalisation d’embarcations fluviales aptes à transporter des touristes ».
Le Tribunal rejette également l’argument de la requérante sur l’acquisition du caractère distinctif de la marque BATEAUX MOUCHES par l’usage, traditionnel « canot de sauvetage » des marques intrinsèquement dépourvues de caractère distinctif.
Le Tribunal rappelle :
– les éléments susceptibles de démontrer qu’une marque est devenue distinctive par l’usage, tels que développés par l’arrêt Windsurfing Chiemsee (EU:C:1999:230)
– que « seule est pertinente la situation existant du territoire de l’Union où les motifs de refus ont été constatés »
– que « la marque doit avoir acquis un caractère distinctif soit avant la date de dépôt de la demande de marque, soit, le cas échéant, entre la date d’enregistrement et celle de la demande de nullité »,
pour retenir qu’en l’espèce ces éléments n’ont pas été rapportés par la requérante malgré une « certaine reconnaissance publique en France des services de la requérante » pour les services touristiques et rejette dès lors le recours.
– Vente-privee.com
Cinq jours après, la cour d’appel de Paris se prononçe à son tour sur la délicate articulation entre caractère distinctif initial / éventuelle acquisition par l’usage, et ce dans le feuilleton vente-privee.com qui avait vu le tribunal de grande instance de Paris invalider en novembre 2013 la marque verbale française VENTE-PRIVEE.COM déposée en 2009, en classe 35.
La décision de 2013 s’inscrivait dans un durcissement notable de la jurisprudence française ces dernières années quant à l’appréciation du caractère distinctif d’une marque, si l’on s’en réfère aux décisions et , SeLoger.com et, par conséquent, VENTE-PRIVEE.COM.
En l’espèce, il s’agissait d’un usage intervenu postérieurement au dépôt de la marque en 2009, puisque cette marque avait été enregistrée et que sa nullité n’était soutenue que postérieurement par la société Showroomprive.com.
La cour confirme « qu’ainsi, lorsqu’il est demandé comme en l’espèce à titre principal la nullité de marque, il convient de se placer à la date où le juge statue, de sorte que, contrairement à ce que soutient la société Showroomprive.com, les pièces de la société Vente-privée.com postérieures au 16 janvier 2009 doivent être prises en compte, au même titre que celles qui lui sont antérieures ».
Puis, sur la base également de l’arrêt Windsurfing Chiemsee, la cour considère qu’en l’espèce qui lui est soumise, la requérante a satisfait aux conditions posées par ces arrêts et établi la preuve d’un « usage continu, intense et de longue durée, à titre de marque (…) du signe vente-privee.com ».
Subsidiairement, et ce n’est pas inintéressant, la cour considère également que le dépôt de la marque VENTE-PRIVEE.COM en 2009 par la requérante n’est pas frauduleux, l’intimée ne démontrant pas « que la société Vente-privée.com – qui avait un intérêt légitime à protéger le signe qu’elle exploitait déjà avec succès – a déposé sa marque dans l’intention de priver autrui d’un signe nécessaire à son activité ».
La cour infirme donc le jugement du tribunal de grande instance de Paris.
Observations
Il est toujours difficile de s’y retrouver dans la jurisprudence abondante et subjective sur la distinctivité des marques.
Les deux arrêts viennent renforcer un peu plus la perplexité des titulaires de marques, puisque dans un cas la marque BATEAUX MOUCHES coule et dans l’autre la marque vente-privee.com est repêchée.
L’on peut toutefois y voir une certaine logique, l’embarcation de secours traditionnelle que constitue l’acquisition du caractère distinctif par l’usage devant être appréciée strictement, ce que font tant le Tribunal de l’UE que la cour d’appel de Paris.
S’agissant de la France, il est à espérer que l’arrêt vente-privee.com, désormais sur la place publique, permettra de mettre un terme à un excès de sévérité de la part de nos tribunaux et de traduire juridiquement les efforts intenses, continus et anciens de bons nombres d’opérateurs économiques ayant réussi à faire de signes peu distinctifs au départ de véritables marques.
Nos tribunaux se distingueraient ainsi. Cliquez ici pour le texte complet de l’arrêt T-72/14 BATEAUX MOUCHES, EU:T:2015:194
Cliquez ici pour le texte complet de l’arrêt vente-privee.com
Equipe Flash
Guillaume Marchais – Tanguy de Haan – Agnès Hasselmann-Raguet – Stève Felix |