Cour de justice UE, 7 mai 2015, C-445/13P, Voss of Norway – INTA / OHMI – Nordic Spirit, EU:C:2015:303
Chers Amis,
On sait tous qu’il est difficile de faire accepter par l’OHMI qu’une marque tridimensionnelle est distinctive : le demandeur doit, selon une jurisprudence constante, prouver que la forme « diverge de manière significative de la norme ou des habitudes du secteur ».
L’arrêt Voss que vient de prononcer la Cour de justice de l’UE nous enseigne que ces difficultés n’existent pas seulement lors du dépôt de la marque, mais peuvent hanter le titulaire même (longtemps) après que la marque tridimensionnelle a été enregistrée.
En l’espèce, la société Voss réussit à faire enregistrer en 2004 une bouteille cylindrique surmontée d’un bouchon opaque de même diamètre (cfr. illustration ci-joint) à titre de marque tridimensionnelle pour des boissons alcoolisées ou non.
En 2008, la société Nordic Spirit, concurrent de Voss, en postula la nullité devant l’Office en prétendant que la bouteille ne divergeait pas de manière significative de la norme ou des habitudes du secteur. Contrairement à ce que décida la division d’annulation en 2010, la chambre de recours fit droit, en 2011, à la demande d’annulation et annula la marque tridimensionnelle.
Sur recours devant le Tribunal de l’UE, celui-ci reconnut que la bouteille pouvait certes être qualifiée d’« unique en son genre » et qu’elle présentait « une certaine originalité » (arrêt du 28 mai 2013, T-178/11, EU:T:2013:272, points 55 et 72). Il rejeta cependant le recours, confirmant ainsi la nullité de la marque.
Voss introduisit un pourvoi devant le CJUE. En raison des questions de principe soulevées, l’association INTA (International Trademark Association) fut autorisée à intervenir à la cause au soutien de Voss.
1. Voss et l’INTA soutenaient que les critères applicables pour qu’une marque tridimensionnelle puisse être enregistrée ne pouvaient s’appliquer avec la même sévérité à une marque déjà enregistrée et ce, en raison de la présomption de validité qui s’attache à celle-ci (art. 52, 55 et 99 RMC). Elles soutenaient qu’il appartient au demandeur en nullité d’apporter tous les éléments de preuve de nature à établir l’invalidité de la marque, et non au titulaire à prouver, des années après l’enregistrement, que celle-ci est valide.
La Cour esquive la question au motif que le moyen procédait d’une lecture erronée de l’arrêt du Tribunal. Ce dernier a, selon la Cour, vérifié lui-même l’existence d’indices concrets qui indiqueraient que la marque litigieuse, considérée dans son ensemble, représente davantage que la somme des éléments dont elle est composée (point 70).
2. Ensuite, Voss et l’INTA reprochaient à l’arrêt du Tribunal de ne pas avoir défini avec précision les prétendues « normes ou habitudes du secteur », de sorte qu’il était impossible, en l’absence d’éléments de preuve concrets apportés par le demandeur en nullité, de vérifier si et dans quelle mesure la marque litigieuse en diverge de manière significative.
La Cour écarte l’argument, au motif que le Tribunal s’est livré à une analyse du caractère distinctif des éléments constitutifs du signe tridimensionnel en cause « au regard des normes du secteur concerné en se fondant sur des faits notoires » (point 86). Il est ainsi notoire « que la grande majorité des bouteilles disponibles sur le marché présentent une partie cylindrique » et « que de très nombreuses bouteilles sont fermées par un bouchon réalisé dans un matériau et dans une couleur différents de ceux du corps de la bouteille ». Le fait que le diamètre du bouchon soit identique à celui de la bouteille « ne constitue qu’une variante » des formes existantes (points 83 à 87).
Le simple fait que la forme soit une « variante » de l’une des formes habituelles de ce type de produits ne suffit pas à lui conférer un caractère distinctif (points 92 et 94).
Observations
1. C’est la première fois dans une affaire où la Cour se prononce sur pourvoi, que l’INTA (International Trademark Association) intervient pour soutenir la partie requérante. Eu égard aux « questions de principe concernant l’appréciation de la validité des marques tridimensionnelles, [lesquelles sont] susceptibles d’affecter les intérêts des membres de l’INTA, titulaires de telles marques communautaires », le président de la Cour a reconnu l’intérêt de cette association à intervenir dans le litige (ordonnance du 25 mars 2014, EU:C:2014:202). On ne peut que se réjouir de l’intervention de cet Amicus Curiae qui en appellera peut-être d’autres.
2. Faire dépendre la vérification d’une norme ou des habitudes d’un secteur en fonction de faits prétendument « notoires » nous semble délicat. En vue d’y faire face, nous recommanderions aux titulaires de marques tridimensionnelles enregistrées de conserver, à la date de l’enregistrement, un dossier (de préférence épais) démontrant combien leurs marques divergent de manière significative de la norme ou des habitudes du secteur. Cela peut toujours servir le jour où un concurrent audacieux prétendrait que tel n’est pas le cas.
3. Si Voss ne peut plus protéger sa bouteille par le droit des marques, elle se consolera peut-être avec l’« originalité » d’une bouteille « unique en son genre » …
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Cliquez ici pour le texte complet de l’arrêt Voss of Norway – INTA / OHMI, C‑445/13P, EU:C:2015:303
Equipe FLASH
Tanguy de Haan – Agnès Hasselmann-Raguet – Stève Félix – Guillaume Marchais