Cour d’appel de Bordeaux, 5 mai 2015, RG n° 14/00275, Société civile CHATEAU CHEVAL BLANC / Jean-Jacques CHAUSSIE et EARL CHAUSSIE DU CHEVAL BLANC
Chers Amis,
Véritable saga œno-judiciaire menée avec panache, CHEVAL BLANC a donné lieu le 5 mai 2015 à un nouvel épisode confirmant la spécificité des marques viticoles et de leurs causes d’annulation, mais rappelant également un important point plus général sur la prescription.
La société civile CHATEAU CHEVAL BLANC, exploitant le prestigieux premier grand cru classé A en Saint-Emilion, est titulaire de la marque CHATEAU CHEVAL BLANC remontant à 1933.
Le 11 avril 2008, elle assigne les intimés, titulaires de marques DOMAINE DE CHEVAL BLANC (déposée en 1973), CHATEAU RELAIS DU CHEVAL BLANC (1983) et d’une marque figurative représentant une tête de cheval (2003) pour des vins de Bordeaux en nullité pour déceptivité et en contrefaçon, visant également la dénomination sociale de l’EARL CHAUSSIÉ DU CHEVAL BLANC.
Le TGI puis la cour d’appel n’annulent que la marque CHATEAU RELAIS DU CHEVAL BLANC.
La Cour de cassation, par arrêt du 7 janvier 2014, casse l’arrêt d’appel mais seulement sur le rejet de la demande en nullité des deux autres marques et sur l’irrecevabilité de l’action en contrefaçon de la marque CHATEAU CHEVAL BLANC.
Sur renvoi, la Cour d’appel de Bordeaux examine donc de nouveau l’affaire. Deux points importants en ressortent :
1. CHEVAL BLANC invoque tout d’abord la nullité des marques DOMAINE DE CHEVAL BLANC et logo tête de cheval sur le fondement de l’article L.711-3 du Code la Propriété intellectuelle.
Le grief de déceptivité d’une marque vitivinicole connaît une importance galopante en jurisprudence, visant à sanctionner une marque se prévalant d’un toponyme sur une partie non substantielle des parties cadastrées d’un domaine et/ou se prévalant indûment d’un terme réglementé tel que le terme « CHATEAU ». En l’espèce, la cour d’appel ne se prononce pas sur l’éventuelle déceptivité puisqu’elle considère l’action de la société civile CHATEAU CHEVAL BLANC comme prescrite.
Elle rappelle en effet que l’action en nullité d’une marque fondée sur son caractère déceptif n’est ni une action en contrefaçon ni une action en revendication et n’est pas soumise aux règles de forclusion du CPI mais à la forclusion de droit commun. Or, l’assignation date du 11 avril 2008, soit antérieurement à l’entrée en vigueur de la loi n° 2008-561 du 17 juin 2008 portant réforme de la prescription en matière civile, loi qui dispose que « lorsqu’une instance a été introduite avant l’entrée en vigueur de la présente loi, l’action est poursuivie et jugée conformément à la loi ancienne qui s’applique également en appel et en cassation ».
En l’espèce, l’action en nullité de marque de l’appelante était donc soumise à la prescription trentenaire.
Par ailleurs, la cour d’appel ne retient pas l’argument selon lequel l’usurpation déceptive serait un délit civil continu, mais retient au contraire que le point de départ de la prescription trentenaire est le dépôt de la marque et sa publication : « c’est bien dès à compter du dépôt de la marque litigieuse qu’il est loisible d’agir en nullité à son encontre sur le fondement de la déceptivité, et ce dépôt constitue donc le point de départ de la prescription ».
La cour rejette donc l’argument de l’appelante qui reviendrait en effet à faire de l’action en nullité une action imprescriptible. La prescription trentenaire était acquise, en l’espèce, le 18 juillet 2003 et l’action introduite par la société civile CHATEAU CHEVAL BLANC le 11 avril 2008 est donc prescrite.
2. Le second point est relatif à la dénomination sociale de l’EARL CHAUSSIÉ DU CHEVAL BLANC. La cour, tenant compte de la très grande notoriété de la marque et du cru CHEVAL BLANC, ne considère pas le patronyme CHAUSSIÉ comme suffisant pour éviter une confusion, alors que de nombreux toponymes coexistent dans le Bordelais avec adjonction d’un nom patronymique. Après avoir indiqué qu’en principe il n’y a pas contrefaçon lorsque la reprise du signe protégé a lieu dans une dénomination sociale, la cour indique qu’il en va différemment « si la reprise du signe protégé porte atteinte à la fonction essentielle de la marque, qui est de permettre au public de reconnaître sans confusion possible un produit et de le rattacher à l’entreprise responsable de sa qualité ».
La cour d’appel retient un risque de confusion pour un consommateur amené à penser « en achetant un vin portant la dénomination sociale EARL CHAUSSIÉ DE CHEVAL BLANC qu’il s’agit d’un vin ayant une relation directe avec la production prestigieuse de la société civile CHATEAU CHEVAL BLANC » et prononce la condamnation et l’interdiction du chef de la contrefaçon.
Résultat des courses : après avoir franchi bien des obstacles et en tout dernier lieu celui qui invoquait la protection de la dénomination sociale, le Château CHEVAL BLANC butte sur le dernier, la marque DOMAINE DE CHEVAL BLANC, pour avoir pris son élan trop tard. Au-delà de la saga CHEVAL BLANC, le rappel de la cour sur la prescription de l’action en nullité est particulièrement bienvenu.
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Equipe FLASH
Guillaume Marchais – Tanguy de Haan – Stève Felix – Agnès Hasselmann-Raguet