Tribunal de l’UE, 2 octobre 2015, T-624/13, T-625/13, T-626/13 et T-627/13 – The Tea Board / OHMI et Delta Lingerie
EU :T :2015 :740, 741, 742, 743
Chers Amis,
Par 4 arrêts rendus le même jour, le Tribunal vient d’apporter de très intéressants éclaircissements sur la définition de la renommée d’une marque communautaire et ses différentes atteintes au sens du Règlement.
Le 22 octobre 2010, la société Delta Lingerie a déposé 4 demandes de marques communautaires DARJEELING, avec et sans logo, pour désigner notamment des sous-vêtements et vêtements ainsi que leurs services de vente au détail et d’autres services, en classes 25, 35 et 38.
The Tea Board, entité indienne, s’est opposée sur la base de ses marques communautaires collectives DARJEELING et DARJEELING & logo, désignant exclusivement du thé en classe 30. L’opposition était fondée sur l’article 8, § 1, b) et l’article 8, § 5, RMC.
La Division d’opposition puis la Chambre de recours rejettent les oppositions.
The Tea Board forme un recours devant le Tribunal lequel, dans les 4 affaires, annule partiellement les décisions de la Chambre de recours avec une réponse motivée aux deux moyens invoqués par la requérante.
1. Sur la prétendue violation de l’article 8, § 1, b), RMC, le Tribunal confirme l’absence de risque de confusion et rejette notamment l’argument de la requérante fondé sur le fait que ses marques antérieures sont des marques collectives, régies par l’article 66, § 2, RMC. La requérante estimait que ses marques induisaient un risque de confusion à apprécier plus largement qu’une marque simple compte tenu de leur nature collective, consistant « en ce que les consommateurs puissent croire que les produits, ou leurs matières premières, et les services visés par les signes en conflit ont la même provenance géographique ».
Le Tribunal écarte cet argument, considérant qu’« une interprétation extensive de l’article 66, paragraphe 2, RMC (…) reviendrait, ainsi que le fait valoir l’intervenante, à conférer aux marques collectives (…) une protection absolue, indépendante des produits visés par les signes en conflit, et ainsi, contraire à la lettre même de l’article 8, paragraphe 1, sous b) dudit Règlement ».
2. Autre rappel bienvenu, celui relatif à la fameuse « interdépendance entre les facteurs » lors de l’appréciation globale, invoquée à tort et à travers dans nombre d’oppositions. Le Tribunal rappelle clairement que, « si la similitude éventuelle des signes en conflit doit être prise en compte (…) elle n’est pas, à elle seule, constitutive d’un risque de confusion (…). Un certain degré, même minimal, de similitude entre les produits et les services visés doit être constaté, pour que la forte similitude ou, le cas échéant, l’identité des signes en conflit puisse entraîner, à la lumière du principe de l’interdépendance des facteurs, un risque de confusion », inexistant en l’espèce.
3. Le Tribunal examine ensuite le moyen tiré d’une prétendue violation de l’article 8, § 5, en rappelant de façon particulièrement claire les conditions d’application de cet article.
Le Tribunal reproche aux décisions de la Chambre de recours une formulation « pour le moins ambigüe » puisqu’elle « n’a pas conclu de manière définitive à l’existence d’une renommée des marques antérieures » mais a néanmoins poursuivi son analyse aux fins de l’application de l’article 8, § 5, RMC. Le Tribunal y voit une « prémisse hypothétique que la renommée des marques antérieures avait été prouvée ».
De même en ce qui concerne l’existence d’un lien dans l’esprit du public entre les marques antérieures et les marques demandées : le Tribunal reproche à la Chambre de recours d’avoir, tout en ne retenant pas explicitement l’existence d’un lien, poursuivi son analyse afin d’apprécier les risques d’atteinte visés à l’article 8, paragraphe 5, ce que le Tribunal qualifie de seconde « prémisse hypothétique ».
- Poursuivant son rappel didactique, le Tribunal considère que « l’argumentation de la requérante ne suffit pas à établir un risque sérieux de préjudice porté au caractère distinctif des marques antérieures » et ne voit non plus « aucun argument spécifique visant à établir un risque sérieux que l’usage de la marque demandée puisse porter préjudice à la renommée des marques antérieures ». C’est en revanche « sur le profit indûment tiré du caractère distinctif ou de la renommée des marques antérieures » que le Tribunal considère qu’il n’est pas exclu qu’à condition que la renommée et un lien soient établis, il puisse y avoir application de l’article 8, § 5.
4. Conclusion :
Reprochant à la Chambre de recours de s’être fondée sur les deux « prémisses hypothétiques » d’une renommée des marques antérieures et d’un lien, le Tribunal annule partiellement les 4 décisions en ce qui concerne les produits relevant de la classe 25 et les services de vente au détail en classe 35, mais non pour les autres services, et renvoie l’affaire devant la Chambre de recours qui « devra, dans un premier temps, formuler une conclusion définitive sur l’existence d’une renommée des marques antérieures et, le cas échéant, sur l’intensité de celles-ci ».
→ Si une renommée est exclue, le recours de la requérante devra être rejeté.
→ « Si la Chambre de recours arrive à la conclusion définitive » qu’il y a renommée, elle devra alors examiner l’existence d’un lien. Ce n’est que si ce dernier est établi que la Chambre de recours devra « en conformité avec le présent arrêt » examiner le risque de profit tiré de l’usage sans juste motif de la marque demandée.
Il faut saluer l’analyse particulièrement poussée et détaillée du Tribunal et ses rappels bienvenus tant concernant les marques communautaires collectives, assez rarement au centre de décisions de jurisprudence, qu’en ce qui concerne la renommée d’une marque et ses atteintes, souvent galvaudées.
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Equipe FLASH
Tanguy de Haan – Agnès Hasselmann-Raguet – Stève Félix – Guillaume Marchais