Flash APRAM n° 258 – Marques : une décision « SO CELINE »

Tribunal de grande instance de Nanterre, pôle civil, 1re chambre, 12 novembre 2015, 12/08011 – SAS Le Grand Comptoir / Société LHAD et M. SEBAAGH

Dans l’affaire Céline (C-17/06), la CJUE avait jugé qu’un signe constitué par une dénomination sociale, un nom commercial ou une enseigne pouvait être utilisé pour des produits ou des services, même sans apposition, s’il était exploité de telle façon qu’un lien s’établissait entre ce signe d’une part, et les produits commercialisés ou les services fournis d’autre part.

Saisie sur renvoi, la cour d’appel de Nancy avait admis le 6 avril 2010 que, même si le signe CELINE n’était en aucun cas apposé sur les produits commercialisés par la défenderesse, celle-ci faisait néanmoins usage du signe, non seulement pour identifier la personne morale exploitante du fonds de commerce, mais également pour distinguer et individualiser les produits qu’elle commercialisait. La cour d’appel a retenu que, compte tenu de la notoriété de la marque antérieure CELINE, le consommateur d’attention moyenne était susceptible d’être induit en erreur, dans la mesure où il pouvait imaginer qu’il existait entre les signes des liens tels, que les produits proposés par les parties à la vente avaient une origine commune.

Dans la présente affaire, la demanderesse a assigné en contrefaçon, sur la base de sa marque verbale française « SO MAN », le titulaire de la marque postérieure « SO MEN », ainsi que son distributeur, pour les usages qu’ils avaient fait du signe « SO MEN » à titre de nom commercial et d’enseigne.

Le tribunal de Nanterre applique l’enseignement de l’arrêt Céline. Sa décision est intéressante à plusieurs égards :

1.     Les défendeurs avaient demandé la déchéance de la marque invoquée à l’appui de l’action en contrefaçon. La décision rappelle que, par analogie avec l’arrêt du TUE du 15 octobre 2015 (T-642/13), la circonstance selon laquelle la titulaire de la marque ne mettait pas en vente « des produits marqués ‘SO MAN’ par l’intermédiaire de son site de vente en ligne, n’est pas de nature à remettre en cause les éléments visant à montrer que celle-ci a vendu au public des produits d’habillement portant cette marque aux consommateurs fréquentant ces magasins ».

2.     Une exception de coexistence était soulevée (art. L713-6 CPI), au motif qu’il existait un usage du nom commercial ‘SO MEN’ antérieur au dépôt de la marque invoquée. Cette exception a été rejetée, car, en l’espèce, la seule preuve de cet usage antérieur résidait dans l’inscription au registre du commerce de la date de commencement des activités. Or, la seule mention de cette date dans le registre est insuffisante pour prouver l’usage antérieur prétendu : « la seule mention de la date de commencement d’activité au registre du commerce et des sociétés ne pouvant suffire à établir un usage à titre de nom commercial ou d’enseigne antérieur à un dépôt ».

3.     Quant à la contrefaçon, la décision découle de la jurisprudence Céline. Le tribunal a admis que « l’usage de la dénomination ‘SO MEN’ pour distinguer une boutique dans laquelle sont commercialisés des produits d’habillement masculins et un fonds de commerce de vente de prêt-à-porter, produits désignés dans la marque de la société demanderesse, porte atteinte à la fonction essentielle de celle-ci, qui est de garantir au consommateur la provenance des produits et services.

En effet, le consommateur moyen, même en l’absence d’apposition du nom sur les produits en cause, est susceptible d’associer à une origine commune les articles d’habillement pour homme vendus dans une boutique dénommée ‘SO MEN’ et ceux commercialisés sous la marque ‘SO MAN’ ; le public appréhendant alors le nom de la boutique non seulement comme distinguant l’établissement et le fonds de commerce, mais aussi comme désignant la provenance des produits qui y sont commercialisés ».

Enseignement

La frontière entre marques et autres signes distinctifs semble décidément perméable. L’opposabilité de l’une aux autres et vice versa était acquise. Au regard de cette décision, il s’agit à présent d’une interaction.

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Equipe FLASH

Tanguy de Haan – Agnès Hasselmann-Raguet – Stève Félix – Guillaume Marchais