Flash APRAM n° 263 – To rely or not to rely

England and Wales High Court of Justice (Chancery Division), 20 janvier 2016, CH/2014/392 et CH/2013/394, Société des Produits Nestlé / Cadbury UK (gaufrette Kit Kat)

Chers Amis,

Voici un nouvel épisode dans le conflit qui oppose la société Nestlé à son concurrent Cadbury à propos de la forme de la célèbre gaufrette chocolatée à quatre barres Kit Kat.

Au Royaume-Uni, la High Court of Justice semblait très réticente à accepter que la forme de la gaufrette constitue une marque valable et avait posé trois questions préjudicielles à la Cour de justice de l’UE qui y répondit en septembre 2015 (C‑215/14, EU:C:2015:604 ; Flash APRAM n° 254).

A présent que les réponses sont connues, le débat ne pouvait plus porter sur l’éventuelle application des motifs d’exclusion d’ordre technique (visés à l’article 3, § 1er, e, de la directive). Ceci avait été écarté par la CJUE.

Toute la discussion concernait la question de savoir quels critères faut-il prendre en compte pour déterminer si une marque a acquis un caractère distinctif par l’usage.

En l’espèce, il était établi au moyen de sondages qu’une très large proportion du public anglais pertinent reconnaissait la forme « nue » de la gaufrette et l’attribuait à Kit Kat.

Malgré cela, le juge anglais avait néanmoins demandé à la CJUE s’il était nécessaire pour pouvoir démontrer qu’une marque a acquis un caractère distinctif par l’usage qu’une proportion significative du public « s’appuie » sur cette marque, « par opposition à toute autre marque pouvant également être présente, comme indiquant l’origine des produits ». Le texte original de la question demandait si les milieux intéressés « rely upon the mark (as opposed to any other trade mark which may also be present) as indicating the origin of the goods ». La High Court souhaitait, par l’emploi précis du verbe « rely upon » savoir si elle pouvait ajouter un critère dans son appréciation de l’acquisition du pouvoir distinctif : est-ce effectivement sur la marque litigieuse (par opposition à toute autre) que doit s’appuyer le public lorsqu’il lui appartient de déterminer l’origine commerciale d’un produit ?

L’ajout de ce critère semblait contraire à toute la jurisprudence constante. En effet, on sait qu’il suffit qu’une marque soit capable, à elle seule, d’indiquer l’origine commerciale des produits pour être distinctive et protégeable. C’est pour cette raison que la CJUE répondit au juge anglais que même si la marque était utilisée en combinaison avec une autre marque, « il n’en demeure pas moins que, en vue de l’enregistrement de la marque elle-même, le demandeur à l’enregistrement doit apporter la preuve que cette marque indique seule, par opposition à toute autre marque pouvant également être présente, l’origine des produits comme provenant d’une entreprise déterminée » (CJUE, point 66). La CJUE renvoya en particulier à ses arrêts Have a break (Nestlé, C‑353/03, EU:C:2005:30, point 30) et Colloseum (C‑12/12, EU:C:2013:253, point 27 et 28 ; Flash APRAM n° 206).

Dans son arrêt du 21 janvier 2016, le juge anglais estime que l’arrêt de la CJUE ne l’aide pas. Il critique et déplore, dans le style qui est le sien, que la traduction française de la question préjudicielle a évacué la nuance qu’il avait sciemment apportée par l’emploi du verbe « rely upon ». La traduction française de la question était libellée comme visant à savoir si le demandeur devait démontrer qu’une proportion significative des milieux intéressés « estimait » que la marque indiquait l’origine commerciale. « Estimer » n’est pas la traduction correcte de « rely upon ». Le juge anglais accuse les juges de Luxembourg d’avoir travaillé en français et en déduit qu’ils n’ont pas compris sa question et que leur réponse ne lui est pas utile. Il se refuse toutefois à poser une nouvelle question préjudicielle : « In those circumstances, it is tempting to refer the question again. But I see no realistic prospect of a further reference yielding a materially different result » (point 48).

Il en conclut qu’un signe ne peut être considéré comme ayant acquis un caractère distinctif par l’usage qu’à la condition qu’il soit prouvé que le public pertinent perçoive les produits concernés comme provenant d’une entreprise déterminée en raison (« because of ») du signe concerné et ce, par opposition à tout autre signe. Il résulte certes des sondages soumis par Nestlé que le public pertinent mentionne « Kit Kat » lorsqu’il perçoit la forme en question, mais cela ne prouve pas, selon ce juge anglais, que le public s’appuie uniquement sur ladite forme lorsqu’il achète le produit.

Commentaire

Alors que le droit de l’Union est interprété de manière constante pour considérer qu’il suffit qu’un signe soit perçu, à lui seul, comme l’indication d’une origine commerciale pour constituer une marque valable, il est regrettable que le juge anglais s’entête à vouloir ajouter un critère juridique qui va, manifestement, à l’encontre d’une telle interprétation. Il est également malheureux qu’il refuse la réponse – laquelle semblait pourtant claire – donnée par la CJUE. Ce n’est pas en brouillant les mécanismes de coopération loyale dans l’interprétation et l’application du droit de l’Union que progresse l’harmonisation européenne.

Cliquez ici pour le texte complet de l’arrêt anglais Kit Kat du 21 janvier 2016

Cliquez ici pour le Flash APRAM n° 254 (CJUE, 16 septembre 2015)

Equipe FLASH

Tanguy de Haan – Agnès Hasselmann-Raguet – Stève Félix – Guillaume Marchais