Flash APRAM n° 264 – Déchéance faute d’usage : coup de tabac sur le parfum

Cour de cassation, ch. comm., 2 février 2016, pourvoi n° H 14-17.404, Coty Germany GmbH / Philip Morris Benelux SPRL et Philip Morris Products SA

Chers Amis,

Un an jour pour jour après son Flash n° 241, l’équipe Flash commente une nouvelle décision sur le thème des motifs pouvant justifier l’absence d’usage d’une marque.

Cette fois, c’est la loi Evin qui est au centre des débats.

Les sociétés Philip Morris, titulaire et cessionnaire de marques MANHATTAN ayant effet en France et remontant à 1965 et 1988 pour des produits du tabac, assignent la société Dr. Scheller Cosmetics AG, aux droits de laquelle vient la société Coty Germany GmbH, titulaire de marques MANHATTAN visant la France pour des produits de parfumerie et cosmétiques, en déchéance de ces dernières faute d’usage. Reconventionnellement, la société Dr Scheller sollicite l’annulation des marques de Philip Morris et leur déchéance pour défaut d’exploitation.

Le TGI puis la cour d’appel de Paris prononcent la déchéance des droits de la société Dr. Scheller sur la marque MANHATTAN.

L’arrêt d’appel est censuré par la Cour de cassation le 4 octobre 2011 qui renvoie l’affaire devant la cour de Paris.

La société Coty reconnaît ne pas avoir exploité ses marques MANHATTAN en France, mais estime avoir un juste motif fondé sur les dispositions de la loi Evin, plus précisément les articles L.3511-3 et L.3511-4 du Code de la santé publique qui en sont issus, interdisant toute propagande ou publicité, directe ou indirecte, en faveur du tabac ou des produits du tabac : le risque d’une condamnation pénale encourue par elle en raison des marques de tabac de Philip Morris, alors même que ces marques n’étaient elles-mêmes pas exploitées.

Cet argument part en fumée car la cour d’appel considère dans son arrêt du 10 janvier 2014 que « dès lors le simple dépôt de ces marques pour du tabac n’ayant pu, au sens des dispositions des lois anti-tabac, affecter l’exploitation de la marque dont la société Coty Germany est titulaire, cette dernière ne peut soutenir que ces dépôts constitueraient un juste motif à l’inexploitation de sa marque » et confirme donc le jugement de première instance.

En sens inverse, sur la demande parallèle de Coty en déchéance des droits de Philip Morris sur ses marques, la cour d’appel considère que Philip Morris justifie en revanche d’une excuse légitime au sens de l’article L.714-5 du Code de la Propriété intellectuelle, à savoir « une menace de poursuites jusqu’au prononcé de la déchéance des droits de la société Coty Germany », en raison de la loi Evin.

C’est ce dernier point qui est porté par Coty devant la Cour de cassation, laquelle dans son arrêt du 2 février 2016 rejette le nouveau pourvoi, mettant un point final à cette saga.

La chambre commerciale confirme l’analyse de la cour d’appel selon laquelle l’exploitation par les sociétés Philip Morris de leurs marques MANHATTAN pour des produits du tabac aurait, en application des articles L.3511-3 et s. du Code de la santé publique, porté atteinte aux droits antérieurs de Coty sur sa propre marque et aurait donc ouvert à celle-ci une action en responsabilité à leur encontre.

Dès lors, les sociétés Philip Morris « justifient d’une menace de poursuites » et « de justes motifs de non exploitation de leurs marques » au sens de l’article L.714-5 précité.

La Cour confirme avec force que « la législation relative à la lutte contre le tabagisme constituait pour les sociétés Philip Morris un obstacle en relation directe avec leurs marques, indépendant de leur volonté, quand bien même ces sociétés auraient déposé la marque française et renouvelé les deux marques en connaissance de cette législation, et rendant l’usage en France des marques impossible ou déraisonnable ».

Observations

Un peu plus de trois ans après le fameux arrêt DIPTYQUE de la Cour de cassation du 20 novembre 2012 en matière de marques de boissons alcoolisées, c’est cette fois en matière de tabac que la Cour vient adresser un rappel utile sur le danger souvent sous-estimé que peuvent représenter les marques de tabac et d’alcool pour l’exploitation des mêmes marques dans d’autres secteurs.

Malgré la sévérité critiquable de ces décisions et des conséquences des dispositions de la loi Evin sur le droit des marques, certainement non voulues par ses rédacteurs à l’époque, cet arrêt invite à la vigilance et illustre la nécessité d’être au parfum de ces dispositions sous peine de voir son projet partir en fumée.

Cliquez ici pour le texte complet de l’arrêt

Equipe FLASH

Guillaume Marchais – Tanguy de Haan – Agnès Hasselmann-Raguet – Stève Félix