Cour d’appel de Paris, 26 février 2016, Pôle 5 – ch. 2, LES SANS DENTS
Chers Amis,
Nul besoin de vous remémorer l’œuvre littéraire de notre précédente « première dame » qui prêta au président de la République la formule délicate de « sans dents » pour désigner les personnes les plus défavorisées. Bien évidemment, le buzz médiatique est très vite apparu, et certains se sont empressés de déposer la marque « les sans dents » pour tirer profit de la situation et monopoliser l’expression en classes 16, 28, 38 et 41.
C’était sans compter sur l’INPI qui refusa l’enregistrement de la marque sur le fondement de L.711-3 (atteinte à l’ordre public) considérant qu’il s’agissait de propos polémiques prêtés à Monsieur François Hollande, président de la République, et que cela portait ainsi atteinte à la fonction de chef de l’Etat.
Sans en démordre, le déposant souligne devant la cour d’appel que, depuis la parution de l’ouvrage révélant l’expression, celle-ci a été utilisée par les médias ou la publicité sans donner lieu à allégation d’un tel trouble et que l’humour a la faveur du chef de l’Etat lui-même, revendiquant par la même un droit à la satire.
Mais la question n’est pas ici de savoir si les acteurs économiques ont le droit d’utiliser l’expression « les sans dents » à des fins de satire ou polémique mais de savoir si cette « expression buzz » est susceptible d’être perçue par le public comme pouvant jouer le rôle de marque et si cette expression constitue une atteinte à l’ordre public.
La cour d’appel ne mord pas à l’hameçon…
La cour prend du recul par rapport au principe de liberté d’expression et rappelle, d’une part, que le dépôt ayant été réalisé en pleine polémique, le signe demandé à l’enregistrement ne pouvait être perçu autrement que comme une référence au propos dégradant prêté au chef de l’Etat et, d’autre part, que l’exercice de la liberté d’expression peut être soumis à des restrictions en cas d’atteinte à l’ordre social.
Atteinte bien réelle pour la cour, et même double atteinte dès lors que ressortent de l’ordre public « tant la préservation de l’Etat et de ses institutions que le respect des lois pénales qui répriment les atteintes portées à l’honneur et à la considération des personnes ainsi qu’à leur dignité, tout comme les comportements discriminants ».
Compte tenu de ces circonstances, la cour affirme que le signe « les sans dents » sera donc perçu non pas comme un indicateur de l’origine des produits et services qu’il désigne mais « comme une incitation à contrevenir à des principes essentiels au bon fonctionnement de la société ou comme une offense pour une partie du public concerné » et confirme la position de l’INPI en refusant l’enregistrement de la marque.
Commentaires
Si la formulation de la cour peut sembler exagérée par rapport à la situation vaudevillesque d’origine, elle a le mérite de rappeler certaines valeurs. Tout n’est pas affaire de commerce.
Dans cette même lignée, rappelons que, à la suite des nombreux dépôts reçus, l’INPI avait communiqué le 20 novembre 2015 sur le fait qu’il refuserait sur le fondement de l’atteinte à l’ordre public les marques « Pray for Paris » et « Je Suis Paris » déposées peu après les attentats du 13 novembre 2015…
Notons enfin la définition élargie de ce critère qui va bien au-delà des cas classiques de vulgarité ou de référence aux drogues et s’étend aussi bien à la préservation de l’Etat et de ses institutions (incluant la Présidence) qu’au bien vivre ensemble. L’ordre public est bien sûr une notion évolutive et les circonstances de ces derniers mois en France auront surement eu tendance à déplacer le curseur.
Quant à savoir si le critère de l’atteinte à l’ordre public est à l’origine du retrait de la marque buzz de 2013 « Nabilla Allo t’es une fille t’as pas de shampoing c’est comme si t’es une fille t’as pas de cheveux », c’est une toute autre question.
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Equipe FLASH
Stève Félix – Tanguy de Haan – Agnès Hasselmann-Raguet – Guillaume Marchais