Flash APRAM n° 282 – Acquisition du caractère distinctif dans toute l’UE

Tribunal UE, 15 décembre 2016, T-112/13, EU:T:2016:735, Mondelez / EUIPO – Nestlé (gaufrette Kit Kat)

Chers Amis,

Voici le nouvel épisode dans la saga opposant la société Nestlé à son concurrent Mondelez (ex Cadbury) à propos de la forme de la célèbre gaufrette chocolatée à quatre barres KIT KAT.

On se souviendra que Nestlé avait déposé la forme devant l’office britannique, mais aussi devant l’EUIPO.

Le litige concernant le dépôt britannique donna lieu, en 2015, à un arrêt de la Cour de justice de l’UE excluant l’application des motifs techniques à la forme de la gaufrette, et renvoyant au juge anglais l’appréciation concrète de l’acquisition du caractère distinctif (C‑215/14, EU:C:2015:604 ; Flash APRAM n° 254). Le juge anglais refusa ensuite la marque (Flash APRAM n° 263), décision que Nestlé frappa d’appel.

Devant l’EUIPO, la marque fut déposée en 2002 et enregistrée en 2006 pour les produits suivants : « bonbons, produits de boulangerie, articles de pâtisserie, biscuits, gâteaux, gaufres » (en classe 30). En 2007, Cadburry (devenue Mondelez) demanda l’annulation. En 2012, la chambre de recours rejeta la demande d’annulation, considérant que la marque de Nestlé avait acquis un caractère distinctif en raison de l’usage intensif qui en avait été fait dans l’Union.

Mondelez porte l’affaire devant le Tribunal, lequel annule la décision de l’EUIPO.

Le long arrêt du Tribunal rendu aujourd’hui contient trois grands enseignements (ou rappels).

1.         Les sous-catégories de produits

Le Tribunal juge que l’EUIPO a commis une erreur de droit en estimant que la forme pouvait être enregistrée pour les « produits de boulangerie, articles de pâtisserie, gâteaux et gaufres », alors qu’aucune preuve d’usage n’était fournie pour ces produits. Le Tribunal rappelle que, lorsqu’une marque a été enregistrée pour une catégorie de produits englobant en son sein plusieurs sous-catégories autonomes, la preuve de l’usage de la marque pour une partie de ces produits n’emporte protection que pour la ou les sous-catégories correspondantes (points 26, 42 et 43).

2.         Usage de la marque sous la forme dans laquelle elle a été enregistrée

Le Tribunal rejette l’argument de Mondelez selon lequel la présence dominante du signe verbal et figuratif KIT KAT dans le matériel promotionnel, sur l’emballage et sur la gaufrette elle-même empêchait que la forme puisse, à elle seule, avoir aussi une capacité distinctive. Il suffit, rappelle le Tribunal, que le signe tridimensionnel revendiqué soit apte, en tant que tel, à distinguer une origine commerciale. Il n’est pas nécessaire qu’il ait fait l’objet d’un usage indépendant (points 54 et 62) ni qu’il figure sur l’emballage du produit ou soit visible au moment de la vente (point 103).

3.         L’acquisition du caractère distinctif dans toute l’UE

C’est pour l’ensemble du territoire de l’UE – dans sa configuration à la date de dépôt de la marque – qu’il doit être démontré que la marque, qui était ab initio dépourvue de caractère distinctif, en a acquis un par l’usage.

Cela ne veut pas dire qu’il faille démontrer une telle acquisition dans chacun des Etats membres pris individuellement, ce qui serait « excessif » (points 124 et 126), mais bien « de manière quantitativement suffisante » pour l’ensemble du territoire de l’Union, et non pour seulement une partie substantielle ou la majorité de ce territoire (point 139).

La question n’est pas de savoir si une partie substantielle du public de l’Union perçoit la marque comme indication d’origine, mais bien « si, dans l’ensemble de l’Union, il a été prouvé qu’une partie significative du public pertinent percevait une marque comme une indication de l’origine commerciale des produits que la marque désignait. L’absence de reconnaissance du signe comme indication de l’origine commerciale dans une partie du territoire de l’Union ne saurait être compensée par un niveau plus élevé de connaissance dans une autre partie de l’Union » (point 142).

En l’espèce, bien qu’il ait été établi que la marque contestée avait acquis un caractère distinctif par l’usage dans 10 pays (Allemagne, Autriche, Danemark, Espagne, Finlande, France, Italie, Pays-Bas, Suède et Royaume-Uni), le Tribunal considère que l’EUIPO ne pouvait valablement conclure son examen sans se prononcer sur la perception que le public pertinent avait de la marque notamment en Belgique, en Irlande, en Grèce et au Portugal ni sans analyser les éléments de preuve apportés pour ces Etats membres.

Selon le Tribunal, « la preuve du caractère distinctif acquis par l’usage de ladite marque doit être apportée dans l’ensemble de ce territoire, à savoir dans tous les Etats membres concernés » (point 175).

Commentaire

Alors que la Cour de justice avait jugé dans l’arrêt Lindt du 24 mai 2012 (C-98/11P, EU:C:2012:307) qu’il était « excessif » d’exiger que la preuve de l’acquisition du caractère distinctif par l’usage soit apportée « pour chaque Etat membre pris individuellement », il nous semble que l’exigence posée par le TUE d’apporter la preuve d’une telle acquisition pour « tous les Etats membres concernés » soit également « excessive ».

Gageons que Nestlé soumettra ce nouvel « excès » probable à la Cour de justice.

Cliquez ici pour le texte complet de l’arrêt Kit Kat du 15 décembre 2016

Cliquez ici pour le Flash APRAM n° 254 (CJUE, 16 septembre 2015)

Cliquez ici pour le Flash APRAM n° 263 (jugement anglais du 20 janvier 2016)

Equipe FLASH

Tanguy de Haan – Agnès Hasselmann-Raguet – Stève Félix – Guillaume Marchais