Flash APRAM n° 285 – Constat d’achat : constat d’échec ?

Cour de cassation, 1ère chambre civile, 25 janvier 2017, pourvoi n° N 15-25.210, H& M Hennes & Mauritz / G-Star Raw CV

Chers Amis,

Voici un arrêt tout récemment rendu par la 1ère chambre civile de notre Cour Suprême qui devrait ravir les contrefacteurs.

La Cour de cassation, ne prenant sans doute pas la pleine mesure des conséquences pratiques de sa position, n’hésite en effet pas à rendre plus compliquée encore l’administration de la preuve des faits de contrefaçon allégués dans cette décision surprenante.

En l’espèce G-Star  aux fins d’administrer la preuve de la contrefaçon qu’elle reprochait à H&M, avait fait procéder à des opérations de constat d’achat dans deux magasins à l’enseigne H&M.

L’huissier qui comme chacun le sait, ne peut pénétrer lui-même dans le magasin aux fins d’établir le constat d’achat, était assisté, comme fréquemment, d’un stagiaire de l’avocat de la société G-Star.

H&M demandait au fond la nullité du procès-verbal du constat ainsi dressé, soutenant une violation du principe d’égalité des armes, élément essentiel du droit à un procès équitable.

La Cour d’appel de Paris n’y a rien trouvé à redire dans son arrêt du 2 juin 2015, considérant que la qualité de stagiaire avocat ne nuisait nullement au procès équitable « dès lors qu’il n’est argué d’aucun stratagème déloyal ».

Et effectivement on ne voit pas bien comment un stagiaire avocat, à moins d’avoir fréquenté l’école Poudlard, ressortirait du magasin avec un jean n’existant pas lorsqu’il y était entré.

La Cour de cassation, sur pourvoi formé par H & M,  censure pourtant l’arrêt sur ce moyen, se fondant sur « les articles 6 § 1 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales et 9 du Code de procédure civile, ensemble le principe de loyauté dans l’administration de la preuve ».

Elle reproche à la Cour d’appel d’avoir considéré que l’achat par un avocat stagiaire au cabinet de l’avocat de la société G-Star était indifférent. Elle retient« qu’en statuant ainsi, la Cour d’appel, qui n’a pas tiré les conséquences légales de ses propres constatations, a violé les textes susvisés ».

Commentaire:

Cet arrêt devrait faire l’effet d’un coup de tonnerre dans le milieu judiciaire et ravir les contrefacteurs, puisqu’il vient mettre de nouveaux bâtons dans les roues de la lutte anti-contrefaçon en rendant quasiment impossible le recours à un constat d’achat.

En effet, l’huissier lui-même ne pouvant pénétrer dans un magasin ou lieu de vente pour faire l’acquisition d’un produit argué de contrefaçon, doit recourir à un tiers indépendant.

Jusqu’à présent personne ne s’émouvait de ce que des stagiaires de cabinets d’avocats achètent le produit argué de contrefaçon.

Si à présent un stagiaire de l’avocat ne peut pas non plus y pénétrer, c’est vider de sa substance le recours à un constat d’achat puisque ni l’huissier, ni l’avocat, ni le CPI, ni maintenant un stagiaire (par extrapolation pas non plus un stagiaire d’un cabinet de CPI), ne peuvent pénétrer dans le local commercial concerné.

Qui peut le faire, alors ?

Il semble certes y avoir une erreur de plume dans l’arrêt de la Cour de cassation, qui mentionne expressément un « avocat stagiaire au cabinet » alors qu’il semblait bien s’agir, à la lecture de l’arrêt d’appel, d’un « simple » stagiaire non élève avocat, mais cela ne change à notre avis pas la portée de l’arrêt, la Cour ayant la ferme intention d’exclure tout stagiaire dès lors qu’il appartient au cabinet du conseil du requérant.

Cet arrêt va tout à la fois renchérir et alourdir la lutte anti-contrefaçon, puisqu’il amènera à recourir plus fréquemment à la saisie-contrefaçon, onéreuse et encombrant les rôles.

En guise de clin d’œil : ne va-t-on pas assister, finalement, à une « ubérisation » du constat d’achat avec la création d’applications de mise en relation d’entreprises victimes de contrefaçon avec des tiers « certifiés »,  qui moyennant rémunération accepteraient de se rendre dans tel ou tel magasin pour faire l’acquisition de tel ou tel produit argué de contrefaçon, à l’image des touristes chinois devant une célèbre boutique de luxe des Champs-Elysées ?

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Equipe FLASH

Guillaume Marchais – Tanguy de Haan – Agnès Hasselmann-Raguet – Stève Félix