Cour de justice UE, 27 septembre 2017, C‑24/16 et C-25/16, EU:C:2017:724, Nintendo / BigBen Interactive GmbH et BigBen Interactive SA
Chers Amis,
La Cour de justice vient de rendre un arrêt crucial quant à la compétence des tribunaux des dessins et modèles communautaires à l’égard de codéfendeurs européens, ainsi que du droit national applicable aux mesures réclamées.
La société Nintendo est titulaire de dessins et modèles communautaires concernant des accessoires de consoles de jeux vidéo, tels des télécommandes. Elle assigne en contrefaçon en Allemagne deux sociétés : BigBen France, la société mère, et BigBen Allemagne, sa filiale. BigBen France fabrique des télécommandes et autres accessoires et les vend, d’une part, par l’intermédiaire de son site Internet, directement à des consommateurs en France et dans le Benelux, et, d’autre part, à BigBen Allemagne qui les vend, elle, en Allemagne et en Autriche. BigBen Allemagne n’ayant pas de stocks, c’est BigBen France qui effectue les livraisons des produits commandés auprès de BigBen Allemagne.
Nintendo réclame à l’encontre de ces deux codéfendeurs européens des mesures d’interdiction d’utilisation des produits qui portent atteinte à ses droits, ainsi que d’autres mesures annexes (reddition de compte, indemnisation, destruction et rappel des produits, publication de la décision et remboursement des frais d’avocat). Nintendo sollicite que ces mesures s’étendent, à l’égard de chacun de deux codéfendeurs, à tout le territoire de l’Union européenne.
Le juge allemand interroge la Cour de justice quant à sa compétence pour prononcer de telles mesures ayant un effet pan-européen à l’égard des deux codéfendeurs. Il souhaite aussi savoir quel droit national s’applique aux mesures annexes à l’interdiction d’utilisation.
1. Compétence à l’égard des codéfendeurs
La réponse de la Cour quant à la compétence est d’une grande clarté. Dès l’instant où plusieurs codéfendeurs européens sont valablement attraits devant le juge du domicile de l’un d’eux (parce qu’il existe entre les demandes un rapport si étroit qu’il y a intérêt à les instruire et les juger ensemble), ce juge a compétence à l’égard de tous pour statuer sur les faits de contrefaçon commis ou menaçant d’être commis « sur le territoire de tout Etat membre » ; autrement dit, pour toute l’Union européenne. La compétence territoriale du tribunal s’étend à « l’ensemble du territoire de l’Union européenne » non seulement à l’égard du défendeur national attrait devant le tribunal du lieu de son domicile, mais également à l’égard de tous les autres codéfendeurs non domiciliés dans l’Etat du for (points 63 et 64). Ceci garantit l’objectif du RDMC consistant à assurer une protection efficace des dessins ou modèles communautaires enregistrés sur l’ensemble du territoire de l’Union (point 66).
Ce n’est que dans l’hypothèse où le tribunal n’est saisi qu’en raison du lieu de la contrefaçon (et qui n’est pas celui du lieu du domicile d’un des codéfendeurs) que la compétence sera limitée aux faits de contrefaçon commis sur le territoire de ce seul Etat (point 65).
En l’espèce, le juge allemand est donc bien compétent pour prononcer toutes les mesures sanctionnant les atteintes commises par les sociétés française et allemande.
2. Droit applicable aux mesures annexes
Pour sanctionner les atteintes commises à un dessin ou modèle communautaire, le RDMC prévoit, d’une part, des mesures d’interdiction d’utilisation et de saisie (qui sont régies de manière autonome à l’art. 89, § 1er, a à c), mais renvoie, d’autre part, au « droit national », pour les autres mesures annexes (reddition de compte, indemnisation, destruction et rappel des produits, publication de la décision et remboursement des frais d’avocat). La question se posait alors de savoir quel droit national appliquer à ces mesures annexes lorsqu’un défendeur porte atteinte à un dessin ou modèle communautaire à différents endroits du territoire de l’Union.
La Cour répond que, dans une telle hypothèse, il faut appliquer l’article 8, § 2, du règlement n° 864/2007 (« Rome II »). Pour identifier le fait générateur du dommage, il ne faut pas se référer à chaque acte de contrefaçon reproché, mais il y a lieu d’apprécier « de manière globale, le comportement dudit défendeur, afin de déterminer le lieu où l’acte de contrefaçon initial, qui est à l’origine du comportement reproché, a été commis ou risque d’être commis » (points 103 et 109). Le juge peut ainsi employer « un critère de rattachement unique lié au lieu où l’acte de contrefaçon qui se trouve à l’origine de plusieurs actes reprochés à un défendeur a été commis ou risque d’être commis » (point 104).
Lorsqu’un opérateur offre des produits litigieux en vente par Internet, le lieu où le fait générateur du dommage se produit est « celui du déclenchement du processus de la mise en ligne de l’offre à la vente par cet opérateur sur le site lui appartenant » (point 108).
Commentaires
Les enseignements de cet arrêt rendu en matière de dessins et modèles communautaires valent certainement en matière de marques de l’Union européenne. La Cour souligne elle-même « la similitude des dispositions » pertinentes contenues dans le RDMC et le RMUE (point 54).
Cet arrêt contribue, encore et toujours, à protéger de manière uniforme les droits intellectuels ayant un caractère unitaire. Ceci vaut tant quant à la compétence à l’égard de tous les codéfendeurs qu’en matière de droit applicable aux mesures annexes à la mesure d’interdiction paneuropéenne.
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Equipe FLASH
Tanguy de Haan – Guillaume Marchais – Stève Félix – Elodie Billaudeau