Cour d’appel de Paris, pôle 5 – chambre 1, RG 16/14549, Conseil des Grands Crus Classés 1855, Confédération des Appellations et Vignerons de Bourgogne et Conseil des Vins de Saint-Emilion c/ SAS Caudalie et SAS Les Sources de Caudalie
Chers Amis,
La cour d’appel de Paris vient de rendre un intéressant arrêt, attendu, concernant tout à la fois le périmètre de protection des « mentions traditionnelles » viticoles protégées au niveau de l’Union et en France, et leur interaction avec le droit des marques.
La société Caudalie, bien connue pour ses produits cosmétiques à base de polyphénols de raisins, a déposé entre 1998 et 2009 plusieurs marques SOIN PREMIER GRAND CRU et PREMIER CRU en classe 3. Elle fabrique et commercialise sous ces marques des crèmes de soins.
Estimant que le dépôt et l’usage de ces marques portaient atteinte aux mentions traditionnelles PREMIER CRU et GRAND CRU, le Conseil des Grands Crus Classés 1855, la Confédération des Appellations et Vignerons de Bourgogne et le Conseil des Vins de Saint-Emilion l’ont assignée notamment en nullité de ses marques, en agissements parasitaires et pour tromperie des consommateurs.
Le Tribunal de grande instance de Paris les ayant déboutés de toutes leurs demandes par jugement du 20 mai 2016, les trois syndicats professionnels font appel.
La cour confirme le jugement dans un arrêt très tannique comportant d’intéressants développements sur la portée de la protection des fameuses « mentions traditionnelles » en matière viticole.
Tout d’abord, la Cour réfute toute utilisation parasitaire de la mention PREMIER CRU. Les mentions traditionnelles sont protégées par le décret du 19 août 1921 et les règlements (UE) 1308/2013 (articles 112 et 113) et 607/2009 (article 40), mais en l’espèce, la cour, rappelant le principe de la liberté du commerce, rappelle qu’à aucun moment Caudalie n’a cherché à se placer dans le sillage des termes PREMIER CRU et GRAND CRU bien connus – et réglementés – en matière viticole, et n’a en particulier entrainé aucune dépréciation de la valeur économique attachée à ces termes dans le domaine du vin.
La cour ne retient pas davantage de pratiques commerciales trompeuses, estimant notamment que même si la société Caudalie et ses produits sont ouvertement issus de l’univers de la vigne et du vin, cette seule circonstance n’est nullement trompeuse.
De même, aucune évocation illicite des appellations d’origine contrôlée qui bénéficient du qualificatif PREMIER CRU n’est retenue à l’encontre de Caudalie.
Il n’y a pas davantage de publicité illicite en faveur des produits alcooliques, sur le fondement de la loi dite Evin. La cour retient en effet sur ce point que « l’utilisation de cette mention, même si elle fait référence à l’univers de la vigne et de la production viticole, n’est pas en soi évocatrice d’une boisson alcoolique identifiée, ce d’autant qu’elle évoque également des idées de qualité et de supériorité ».
Enfin, la cour refuse également d’annuler les marques déposées par Caudalie au motif d’une prétendue absence de caractère distinctif, retenant que « par son usage en dehors de ce domaine », la marque PREMIER CRU a acquis « une distinctivité » et que « son utilisation est inhabituelle et présente un caractère arbitraire pour évoquer la qualité des produits cosmétiques, ainsi de nature à distinguer les produits porteurs des mentions PREMIER CRU et SOIN PREMIER GRAND CRU de la société Caudalie de ceux d’autres entreprises ».
Le plus important est que cet arrêt reconnaît l’existence d’un « principe de spécialité », invoqué par la société Caudalie, faisant que « la protection due à la mention traditionnelle GRAND CRU est limitée aux produits de la vigne ».
Dès lors, en l’espèce, « aucune interdiction de l’usage de ce signe ne peut en résulter ». La coupe est pleine pour les appelants.
Commentaires
La protection des mentions traditionnelles viticoles fait l’objet d’assez peu de contentieux et reste assez floue. Elle est d’actualité car ce sont des mentions de qualité et elles tentent soit des producteurs de vins de régions autres que celles qui en bénéficient par le droit de l’Union précité, soit des intervenants économiques en dehors du domaine vitivinicole.
La jurisprudence est très limitée à ce jour (cf. Conseil d’Etat, 26 février 2014 sur la mention « VENDANGES TARDIVES »).
La matière prend donc de la bouteille, l’arrêt reconnaissant, alors même que les mentions traditionnelles ne ressortent pas de la sphère du droit des marques, l’existence d’un principe de spécialité analogue à celui qui prévaut en matière de marques. Il faudra toutefois veiller à ne pas s’enivrer de ce principe de spécialité qui ne doit pas pour autant permettre d’usages qui, eux, dilueraient d’autres mentions traditionnelles.
Mais l’on peut voir dans cet arrêt une motivation empreinte de bon sens et, après un très bon cru 2016, le cru judiciaire 2018 s’annonce donc, lui aussi, un excellent millésime pour la société Caudalie.
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Equipe FLASH
Guillaume Marchais – Tanguy de Haan – Elodie Billaudeau – Stève Félix