Flash APRAM n° 344 – Marques et mauvaise foi : c’est coton
Cour de justice UE, C-104/18 P, EU:C:2019:724, Koton Mağazacilik Tekstil Sanayi ve Ticaret AŞ / EUIPO et Joaquín Nadal Esteban
Chers Amis,
Voici un arrêt fort intéressant sur la notion de dépôt de mauvaise foi d’une marque de l’Union européenne.
La requérante, la société turque Koton, a formé opposition auprès de l’EUIPO, sur la base de marques antérieures ayant effet sur le territoire de l’Union européenne, à l’enregistrement d’une demande de marque STYLO & KOTON déposée par M. Esteban en classes 25, 35 et 39. Le terme KOTON comportait une fleur de coton stylisée dans les deux voyelles.
Cette opposition n’ayant abouti que partiellement, en classes 25 et 35, et la marque STYLO & KOTON ayant été enregistrée pour les services de la classe 39, la requérante dépose alors une demande en nullité de la même marque sur le fondement de l’article 52, § 1er, b, du Règlement n° 207/2009 (déposant de mauvaise foi), applicable en raison de la date de dépôt.
La division d’annulation puis la chambre de recours de l’EUIPO ayant rejeté la demande en nullité, Koton saisit le Tribunal de l’UE, lequel refuse, lui aussi, de déclarer nulle la marque contestée et rejette le recours.
C’est donc dans l’atmosphère ouatée de la Cour que le sort de la marque litigieuse se joue.
La Cour se livre à une analyse très détaillée et didactique de l’article 52, § 1er, b, RMUE et de la jurisprudence sur ce point, notamment de l’arrêt Lindt du 11 juin 2009 (C‑529/07, EU:C:2009:361).
Le Tribunal avait écarté l’absence de fraude de la part de M. Esteban, malgré les relations d’affaires incontestées ayant existé entre les deux parties, en retenant que les services de la classe 39, seuls restants et par conséquent attaqués, n’étaient ni identiques ni similaires aux produits et services couverts par les marques antérieures de Koton.
La Cour retient que la notion de mauvaise foi n’étant pas définie par le législateur de l’Union, il convient de tenir compte de son sens habituel dans le langage courant mais « dans le contexte du droit des marques, qui est celui de la vie des affaires ».
A l’appui de l’arrêt Lindt invoqué par le déposant, la Cour retient qu’il ne ressort pas de cet arrêt « que l’existence de la mauvaise foi (…) peut uniquement être constatée dans l’hypothèse (…) où il y a utilisation sur le marché intérieur d’un signe identique ou similaire pour des produits identiques ou similaires prêtant à confusion avec le signe dont l’enregistrement est demandé » et qu’« il peut exister des cas de figure, étrangers à l’hypothèse ayant conduit à l’arrêt du 11 juin 2009 (…) où la demande d’enregistrement d’une marque est susceptible d’être regardée comme ayant été introduite de mauvaise foi nonobstant l’absence, au moment de cette demande, de l’utilisation par un tiers, sur le marché intérieur, d’un signe identique ou similaires pour des produits identiques ou similaires ».
La Cour recourt à l’emploi de l’oxymore « l’intention du demandeur d’une marque est un élément subjectif qui doit cependant être déterminé de manière objective ». Elle distingue « fondamentalement » cette cause de nullité absolue de la cause de nullité relative liée à l’existence d’un droit antérieur et retient que l’argumentation de la déposante est entièrement cousue de fil blanc car « d’autres circonstances factuelles peuvent, le cas échéant, constituer des indices pertinents et concordants établissant la mauvaise foi du demandeur ».
La Cour sanctionne ainsi le Tribunal d’avoir fait une « lecture erronée de la jurisprudence de la Cour et conféré une portée trop restrictive à l’article 52, § 1er, b, du règlement n° 207/2009 ».
Le Tribunal aurait également dû tenir compte de ce qu’avant l’enregistrement de la marque STYLO & KOTON dans la seule classe 39, elle désignait des produits et services des classes 25 et 35, qui, eux, correspondaient aux marques antérieures de la requérante, ce qui était un indice supplémentaire de la mauvaise foi.
En clair, la Cour reproche au Tribunal d’avoir eu du coton dans les oreilles et de n’avoir pas entendu les arguments de la requérante et, statuant elle-même définitivement sur le litige ainsi qu’elle y est autorisée, elle annule non seulement l’arrêt du Tribunal, mais aussi la décision de l’EUIPO.
Commentaire
De toutes les matières, c’est donc la ouate que la Cour préfère et désormais, pour établir la mauvaise foi d’un déposant, ça va être … Koton.
Cliquez ici pour le texte complet de l’arrêt Koton.
Equipe FLASH
Guillaume Marchais – Tanguy de Haan – Elodie Billaudeau – Stève Félix