Cour de justice UE, 29 janvier 2020, C-371/18, EU:C:2020:45, Sky e.a. / SkyKick
Chers Amis,
La société britannique Sky est un opérateur de télédiffusion, de téléphonie et de desserte à haut débit. Elle est titulaire d’une kyrielle de marques portant sur le signe SKY bien connu. Celles-ci sont enregistrées pour de très nombreux produits et services, dont des logiciels (en classe 9) et le stockage de données (en classe 38).
Sky assigne SkyKick en contrefaçon devant la High Court of Justice à Londres en raison de l’usage du signe SKYKICK pour des produits et services de migration entre plateformes de courrier électronique ou de stockage en nuage (cloud storage). Les produits de SkyKick sont fondés sur un logiciel en tant que service (software as a service ou SaaS).
Pour sa défense, SkyKick conteste la validité des marques SKY. Elle soutient que l’enregistrement pour des logiciels « manque de clarté et de précision » au sens de l’arrêt IP Translator (CJUE, 19 juin 2012, C‑307/10, EU:C:2012:361 – Flash APRAM n° 193). Le juge anglais saisit la Cour de justice pour vérifier cette hypothèse. Il lui demande aussi si un enregistrement pour des logiciels peut être considéré comme « trop large » et, partant, « contraire à l’intérêt public », car il confère à son titulaire un monopole extrêmement étendu qui ne saurait se justifier par un intérêt commercial. Ou bien peut-il considérer que la marque a été déposée de mauvaise foi, ne fût-ce que pour une partie des produits et services, pour lesquels le titulaire n’avait manifestement pas l’intention d’en faire usage ? L’enregistrement d’une marque pour un large éventail de produits et services démontre-t-il que la marque a été déposée de mauvaise foi et doit, de ce fait, être annulée ?
La Cour donne les réponses suivantes.
- Premièrement, la Cour rappelle qu’en matière de demande en nullité d’une marque, il y a lieu d’appliquer le droit matériel en vigueur à la date de dépôt de la marque attaquée (point 49).
- La directive et le règlement sur les marques contiennent une liste exhaustive des causes de nullité (point 58). Le défaut de clarté et de précision des termes utilisés pour désigner les produits ou services n’est pas une cause de nullité de la marque (point 60). Et, de toute manière, l’arrêt IP Translator du 19 juin 2012 n’affectait pas les marques déjà enregistrées à cette date (point 61).
- Le défaut de clarté et de précision d’un libellé n’est pas une carence d’une nature telle qu’elle est « contraire à l’ordre public » au sens de l’article 7, § 1er, f, du règlement (point 66).
La Cour en conclut qu’une marque « ne peut pas être déclarée totalement ou partiellement nulle au motif que des termes employés pour désigner les produits et les services pour lesquels cette marque a été enregistrée manquent de clarté et de précision » (point 71).
La Cour complète ensuite l’analyse sous l’angle du dépôt de mauvaise foi.
- Une marque déposée « de mauvaise foi » peut être annulée. Il s’agit d’une notion de droit de l’Union (point 73), qui « suppose la présence d’un état d’esprit ou d’une intention malhonnête » (point 74). Le droit des marques contribue au système de concurrence non faussée dans l’Union. Dans cet esprit, « l’enregistrement d’une marque sans que le demandeur ait aucune intention de l’utiliser pour les produits et les services visés par cet enregistrement est susceptible d’être constitutif de mauvaise foi […]. Une telle mauvaise foi ne peut cependant être caractérisée que s’il existe des indices objectifs, pertinents et concordants tendant à démontrer que, à la date du dépôt de la demande d’enregistrement de la marque considérée, le demandeur de celle-ci avait l’intention soit de porter atteinte aux intérêts de tiers d’une manière non conforme aux usages honnêtes, soit d’obtenir, sans même viser un tiers en particulier, un droit exclusif à des fins autres que celles relevant des fonctions d’une marque » (point 77).
Si la preuve de l’absence d’intention d’usage ne concerne que certains produits ou services, seuls ceux-ci seront concernés par le motif de nullité (point 81).
- La mauvaise foi du demandeur ne saurait être présumée sur la base du simple constat que, à la date du dépôt de la demande, ce demandeur n’avait pas d’activité économique correspondant aux produits et aux services visés par la demande (point 78).
Commentaires
A nos yeux, les réponses données par la Cour paraissent suffisamment « claires et précises ». L’arrêt s’inscrit dans la continuité de la jurisprudence de la Cour. Il n’est pas aussi révolutionnaire que ce que d’aucuns avaient craint en s’imaginant un peu vite que la Cour allait simplement faire siennes les suggestions du juge anglais ou de l’avocat général (cfr. ses conclusions du 16 octobre 2019, EU:C:2019:864).
Un déposant peut être de mauvaise foi s’il dépose une marque en n’ayant aucune intention d’en faire usage, car il abuse ainsi du système. Mais ce ne sera sans doute pas facile de le démontrer.
Cliquez ici pour le texte complet de l’arrêt Sky / SkyKick
Equipe FLASH
Tanguy de Haan – Guillaume Marchais – Elodie Billaudeau – Stève Félix