Cour de cassation, chambre commerciale, 12 février 2020, pourvoi n° Q17/31.614, Cristal de Paris / Cristallerie de Montbronn
Chers Amis,
Voici un arrêt de principe rendu sur un thème voisin des droits intellectuels, mais fort important en pratique : celui de l’indemnisation du préjudice subi par la victime d’actes de concurrence déloyale.
La société mosellane Cristallerie de Montbronn est spécialisée dans la création et la fabrication de produits d’art de la table en cristal.
La société Cristal de Paris, dont le siège social est situé dans la même rue, commercialise pour sa part des produits en cristal fabriqués, taillés et polis en Chine et en Europe ainsi que des produits en verre, cristallin et luxion.
Cristal de Paris présente dans ses catalogues des produits en verre, en cristal ou en luxion mélangés à des produits en cristal pour laisser croire que l’ensemble serait en cristal. Elle dit qu’ils sont « made in France » et se présente elle-même comme un « haut lieu du verre taillé en Lorraine » et un « spécialiste de la taille ». La Cristallerie de Montbronn l’assigne aux fins de cessation de ces pratiques illicites et indemnisation de son préjudice.
La cour d’appel de Paris, le 19 septembre 2017, retient les griefs formés à l’endroit de Cristal de Paris et la condamne à verser à la Cristallerie de Montbronn la somme de 300 000 euros en réparation de son préjudice résultant des actes de concurrence déloyale en raison des pratiques commerciales trompeuses et déloyales.
Malgré cet arrêt cristallin, Cristal de Paris forme un pourvoi et, sur le seul moyen retenu, reproche à la cour d’appel d’avoir fixé le montant de la réparation du préjudice en considération de l’économie réalisée par l’auteur du dommage, en l’espèce en prenant en considération la différence de prix de revient entre les deux sociétés et, donc, l’économie réalisée par Cristal de Paris.
Ces arguments se brisent comme du verre. La Cour de cassation rend un arrêt très didactique et argumenté, rappelant les principes de la réparation du préjudice en matière d’actes de concurrence déloyale. L’arrêt examine le cas des « pratiques consistant à parasiter les efforts et les investissements, intellectuels, matériels ou promotionnels, d’un concurrent ou à s’affranchir d’une règlementation […], tous actes qui, en ce qu’ils permettent à l’auteur des pratiques de s’épargner une dépense en principe obligatoire, induisent un avantage concurrentiel indu dont les effets, en termes de trouble économique, sont difficiles à quantifier avec les éléments de preuve disponibles ».
La Cour pose ainsi pour principe que « lorsque tel est le cas, il y a lieu d’admettre que la réparation du préjudice peut être évaluée en prenant en considération l’avantage indu que s’est octroyé l’auteur des actes de concurrence déloyale, au détriment de ses concurrents, modulé à proportion des volumes d’affaires respectifs des parties affectés par ces actes » (point 10).
Taillant dans le vif, la Cour analyse le marché restreint dans lequel évoluent les deux protagonistes et approuve la cour d’appel d’avoir retenu « qu’en trompant le consommateur sur la composition, l’origine et les qualités substantielles des produits vendus, la société Cristal de Paris s’est assurée un avantage concurrentiel au préjudice de la société Cristallerie de Montbronn ».
Elle approuve la cour d’appel d’avoir analysé en particulier la tromperie sur la taille « made in France », qui a permis à Cristal de Paris d’obtenir des prix de revient beaucoup plus bas, en raison notamment du nombre de tailleurs respectivement employés par les deux sociétés, « un tailleur pour six mois, là où la société Cristallerie de Montbronn en employait huit ».
La taille compte donc, tout de même.
La Cour, « appelée à statuer sur la réparation d’un préjudice résultant d’une pratique commerciale trompeuse pour le consommateur, conférant à son auteur un avantage concurrentiel indu par rapport à ses concurrents, a pu, pour évaluer l’indemnité devant être allouée à la société Cristallerie de Montbronn, tenir compte de l’économie injustement réalisée par la société Cristal de Paris, qu’elle a modulée en tenant compte des volumes d’affaires respectifs des parties affectés par lesdits agissements ».
Le pourvoi est donc rejeté.
Commentaire
Il s’agit là d’un bel arrêt de principe confirmant une analyse assez économique de la cour d’appel. La Cour de cassation cisèle superbement son raisonnement dans un arrêt cristallin qui fera date.
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Equipe FLASH
Guillaume Marchais – Tanguy de Haan – Elodie Billaudeau – Stève Félix