Tribunal UE, 27 février 2020, T-159/19, EU:T:2020:77, Bog-Fan sp. z.o.o. sp.k. c/ EUIPO et Fabryki Mebli « Forte » S.A.
Chers Amis,
Voici un arrêt qui, à défaut de faire tomber le lecteur de l’armoire, contient un certain nombre de rappels bienvenus sur la notion de divulgation destructrice de la validité d’un dessin ou modèle communautaire.
Le 17 septembre 2013, la société polonaise Fabryki Mebli « Forte » dépose un modèle communautaire pour un meuble, plus précisément pour une armoire, et fait ensuite face à une action en nullité formée par la société polonaise Bog-Fran, basée sur l’article 52 du règlement n° 6/2002 (RDMC). Cette dernière invoque une absence de nouveauté et de caractère individuel au sens de l’article 4 RDMC.
A l’appui de sa demande en nullité, Bog-Fran produit :
- un extrait d’un catalogue contenant les représentations d’un modèle très proche ;
- une facture antérieure datant de 2008 relative à l’impression du catalogue à 25 000 exemplaires, en tchèque ; et
- trois factures également de 2008 relatives à des ventes de meubles à une société polonaise, avec confirmation de la réception des marchandises mentionnées.
La division d’annulation de l’EUIPO fait droit à la demande en nullité mais la chambre de recours annule la décision au motif que le modèle n’avait pas été divulgué au public conformément à l’article 7, § 1er, RDMC.
Dans sa décision, le TUE se montre très didactique et rappelle avec clarté les principes qui président à la reconnaissance d’une divulgation susceptible de détruire la validité d’un modèle communautaire. Il rappelle que la divulgation est établie aux termes d’une analyse en deux étapes (point 20) :
- La première étape consiste à examiner « si les éléments présentés dans la demande en nullité démontrent, d’une part, des faits constitutifs d’une divulgation d’un dessin ou modèle et, d’autre part, le caractère antérieur de cette divulgation par rapport à la date de dépôt ou de priorité du dessin ou modèle contesté ».
- « En second lieu, dans l’hypothèse où le titulaire du dessin ou modèle contesté aurait allégué le contraire, si lesdits faits pouvaient, dans la pratique normale des affaires, raisonnablement être connus des milieux spécialisés du secteur concerné opérant dans l’Union, faute de quoi une divulgation sera considérée comme sans effets et ne sera pas prise en compte ».
Le Tribunal rappelle également que « la divulgation d’un dessin ou modèle antérieur ne peut pas être démontrée par des probabilités ou des présomptions, mais doit reposer sur des éléments concrets et objectifs qui prouvent une divulgation effective du dessin ou modèle antérieur sur le marché » et que « si certains de ces éléments peuvent être insuffisants à eux seuls pour démontrer la divulgation d’un dessin ou modèle antérieur, il n’en demeure pas moins que, lorsqu’ils sont associés ou lus conjointement avec d’autres documents ou informations, ils peuvent contribuer à former la preuve de la divulgation » (point 22).
Ne remisant donc pas au placard ces principes, le Tribunal retient en l’espèce que si certes la distribution du catalogue, même tiré à 25 000 exemplaires, « ne saurait être présumée, en dépit de sa probabilité », cette impression en autant d’exemplaires « suggère qu’une telle impression a eu lieu dans le but de procéder à la distribution dudit catalogue ».
Et en associant cet extrait de catalogue aux autres éléments de preuves de la requérante, le Tribunal parvient à la conclusion que cette combinaison « démontre un fait constitutif d’une divulgation du dessin ou modèle antérieur », alors même qu’une seule des factures concernées mentionnait la référence du meuble concerné.
Le Tribunal conclut que cette démonstration « fait présumer la divulgation du dessin ou modèle antérieur au sens de l’article 7, § 1er, RDMC » et sanctionne la chambre de recours pour avoir fait une appréciation erronée des éléments de preuves.
Par voie de conséquence, la seconde étape de l’analyse, consistant à vérifier une éventuelle absence de connaissance par les milieux spécialisés du secteur concerné des faits constitutifs de divulgation, n’est pas examinée.
Commentaire
Sans être révolutionnaire, cette décision est très commode pour nous éclairer sur le cas fréquent en pratique où peu de documents probants sont fournis et où en fin de compte seule leur combinaison permet de retenir une divulgation. Cette décision s’inscrit dans le droit fil des affaires concernant des motifs décoratifs de vaisselle (TUE, 14 juillet 2016, T‑420/15, EU:T:2016:410, Thun 1794 / EUIPO – Adekor), des cabines infrarouges (TUE, 13 décembre 2017, T‑114/16, EU:T:2017:899, Delfin Wellness / EUIPO) ou les fameuses chaussures Crocs (TUE, 14 mars 2018, T-651/16, EU:T:2018:137, Crocs / EUIPO – Gifi) .
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Equipe FLASH
Guillaume Marchais – Elodie Billaudeau – Stève Félix – Tanguy de Haan