Cour de justice UE, 22 octobre 2020, C-720/18 et C-721/18, EU:C:2020:854, Ferrari SpA / DU
Chers Amis,
Entre 1984 et 1991, la société Ferrari a commercialisé un modèle de voiture de sport sous la marque TESTAROSSA, puis, jusqu’en 1996, deux modèles qui lui ont succédé. La marque est enregistrée notamment pour des « véhicules et leurs parties » (en classe 12).
En 2015, un requérant a initié une procédure en Allemagne visant à obtenir la déchéance de la marque TESTAROSSA pour absence d’usage sérieux. La déchéance est prononcée par le tribunal de première instance, mais, en appel, la cour d’appel de Düsseldorf interroge la Cour de justice de l’Union européenne quant à différents aspects de l’« usage sérieux » d’une marque nationale.
La Cour rend un long arrêt qui mérite une lecture attentive, mais dont on peut retenir ceci.
- La charge de la preuve
La Cour juge que la question de la charge de la preuve de l’usage sérieux d’une marque nationale « ne relève pas de la compétence des Etats membres » (point 76). Seule la Cour de justice est compétente sur ce point. Elle juge que « la charge de la preuve du fait qu’une marque [enregistrée dans un Etat membre] a fait l’objet d’un “usage sérieux” pèse sur le titulaire de cette marque » (points 80 et 82). Elle uniformise ainsi, au sein de l’Union européenne, les règles de preuve en vigueur dans les tribunaux et impose la même solution qu’à propos des marques de l’Union européenne (arrêt C‑610/11P, EU:C:2013:593, Centrotherm Systemtechnik, point 61).
- Usage pour une catégorie de produits
La Cour de justice admet que l’usage de la marque, par le titulaire, pour des pièces détachées faisant partie intégrante des véhicules couverts par la marque est susceptible de constituer un usage sérieux « non seulement pour les pièces détachées elles-mêmes, mais aussi pour les produits couverts par ladite marque. Il est, à cet égard, indifférent que l’enregistrement de ladite marque couvre non seulement les produits entiers, mais aussi leurs pièces détachées » (point 35).
Si une marque protège une catégorie de produits et services définie de façon précise et circonscrite, et à l’intérieur de laquelle il n’est pas possible d’opérer des divisions significatives, « il est suffisant d’exiger du titulaire d’apporter la preuve de l’usage sérieux de sa marque pour une partie des produits ou des services relevant de cette catégorie homogène » (point 37).
En revanche, si la marque concerne des produits ou services rassemblés au sein d’une catégorie large, susceptible d’être subdivisée en plusieurs sous-catégories autonomes, le titulaire doit apporter la preuve de l’usage sérieux « pour chacune de ces sous-catégories autonomes, à défaut de quoi il sera susceptible d’être déchu de ses droits à la marque pour les sous-catégories autonomes pour lesquelles il n’a pas apporté une telle preuve » (point 38). Aux fins de l’identification d’une sous-catégorie cohérente de produits ou de services, « le critère de la finalité et de la destination des produits ou des services en cause constitue le critère essentiel » (point 40). A cet égard, ce qui importe, c’est de savoir si le consommateur désireux d’acquérir un produit ou un service relevant de la catégorie de produits ou services visée par la marque « associera à cette marque l’ensemble des produits ou des services appartenant à cette catégorie » (point 43).
Ainsi, une marque enregistrée pour une catégorie de produits et de pièces détachées les composant peut être considérée comme ayant fait l’objet d’un « usage sérieux », si elle n’a fait l’objet d’un tel usage « que pour certains de ces produits, tels que les voitures de sport de luxe coûteuses, ou seulement pour les pièces détachées ou les accessoires » (point 53).
- La revente de produits d’occasion par le titulaire lui-même
Un des arguments de Ferrari pour maintenir ses droits était d’avoir revendu elle-même, après contrôle, des véhicules d’occasion sous la marque TESTAROSSA. S’agit-il d’un « usage sérieux » ? Oui, dit la Cour de justice (point 56). Le fait que les droits du titulaire ont été épuisés par la première mise sur le marché de véhicules sous la marque lui interdit de s’opposer à leur revente par des tiers, mais n’empêche pas que le titulaire fasse bel et bien un « usage sérieux » de sa marque lorsqu’il vend une deuxième fois ses propres produits sous cette marque (points 59 et 60).
- La fourniture de services après-vente
Ferrari disait aussi qu’elle fournit toujours certains services, notamment d’entretien ou de fourniture de pièces détachées pour les voitures de marque TESTAROSSA vendues à l’époque. La Cour dit que de tels services peuvent en soi constituer un « usage sérieux » de la marque, à condition toutefois que les services soient effectivement fournis sous cette marque (point 64), ce qui ne semble pas être le cas en l’espèce.
- La convention germano-suisse de 1892
Enfin, un dernier point mérite d’être signalé. Une convention bilatérale de 1892 entre l’Allemagne et la Suisse est toujours en vigueur. Elle prévoit que l’usage d’une marque en Suisse vaut usage en Allemagne et vice-versa. Cette exception historique au principe de territorialité permet à un titulaire d’une marque enregistrée à la fois en Suisse et en Allemagne de maintenir sa marque en Allemagne, alors qu’elle n’y est pas utilisée, mais n’est utilisée qu’en Suisse ; la réciprocité est de mise (cfr. Flash APRAM n° 217).
Pour la Cour de justice, cette convention est « incompatible » avec le droit de l’Union et l’Allemagne « est tenue » de la dénoncer (art. 351, al. 2, TFUE ; point 71). En attendant, le TFUE permet certes à l’Allemagne de continuer à l’appliquer, mais cela entraîne « des difficultés » que la Cour ne semble pas apprécier (points 70 et 71) …
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Equipe FLASH
Tanguy de Haan – Guillaume Marchais – Stève Félix