Flash APRAM n° 375 – Droit d’auteur vs liberté d’expression. Arrêt Naf-Naf : de l’art ou du cochon ?

Cour d’appel de Paris, Pôle 5, Chambre 1, 23 février 2021, RG 19/09059, Jeff Koons et Jeff Koons LLC / Franck Davidovici, Elisabeth Bonamy, William Klein, Centre national d’Art et de Culture Georges Pompidou, SA Flammarion et Stichting Fondazione Prada

Chers Amis,

Voici une très intéressante décision rendue en matière de droit d’auteur, dont l’intérêt ne réside pas tant dans la personnalité médiatique condamnée que dans les rappels didactiques bienvenus d’un certain nombre de principes.

Le sculpteur américain bien connu Jeff Koons ainsi que le Centre Pompidou, notamment, étaient poursuivis pour contrefaçon de droits d’auteur par Franck Davidovici, auteur d’un visuel publicitaire réalisé en 1985 pour la marque de vêtements NAF-NAF. Ce visuel intitulé « Fait d’hiver » mettait en scène une jeune femme brune allongée dans la neige, un petit cochon penché au-dessus d’elle avec un tonneau de chien Saint-Bernard autour du cou.

Au vu des ressemblances entre cette œuvre photographique et la sculpture en faïence réalisée par Jeff Koons dans le cadre d’une série « Banality », elle aussi intitulée « Fait d’hiver » et exposée au Centre Pompidou en 2014, le Tribunal de grande instance de Paris a, dans son jugement du 8 novembre 2018, reconnu les droits d’auteur de Franck Davidovici et condamné Jeff Koons et le centre Pompidou, entre autres, pour contrefaçon.

Il est relevé appel de cette décision.

Après d’intéressants développements sur l’invocation pour la première fois en cause d’appel d’une prétendue applicabilité – rejetée – de la loi américaine aux faits de l’espèce, la Cour confirme le jugement, au vu des documents qui lui étaient soumis, en ce qu’il a reconnu à l’auteur la qualité pour agir, s’agissant en l’espèce d’une œuvre photographique de collaboration dont les autres contributeurs lui ont cédé leurs droits patrimoniaux, et non d’une œuvre collective de la société NAF-NAF.

La Cour confirme ensuite la grande originalité de cette œuvre, que les appelants considéraient être une simple idée, et sa contrefaçon par le sculpteur Jeff Koons, la Cour rappelant que « la contrefaçon de droits d’auteur s’apprécie au regard des ressemblances entre les œuvres en présence et que les ressemblances sont ici prédominantes par rapport aux différences relevés, la sculpture de Jeff Koons reprenant la combinaison des caractéristiques originales de la photographie “‌Fait d’hiver” ».

Les visuels insérés dans l’arrêt sont d’ailleurs éloquents.

A noter que l’appelant prétendait que sa sculpture étant elle-même une œuvre connue, il ne pouvait pas y avoir contrefaçon, ce que la Cour écarte fort justement.

Enfin, l’arrêt est intéressant également en ce qu’il écarte, confirmant le jugement, les exceptions de parodie et de liberté d’expression artistique de nouveau invoquées par les appelants.

Sur l’exception de parodie, la Cour en rappelle les conditions : « l’œuvre seconde doit évoquer une œuvre existante ; l’œuvre seconde ne doit pas risquer d’être confondue avec l’œuvre première ; et elle doit contribuer à une manifestation d’humour ou de raillerie ».

Or, les propres commentaires de Jeff Koons à l’époque excluant tout humour dans sa démarche, la Cour écarte la parodie, d’autant que le long laps de temps écoulé entre une photographie oubliée de 1985 et l’exposition de la sculpture en 2014 excluait que le public puisse faire un lien.

Enfin, sur l’exception de liberté d’expression artistique, la Cour énonce un certain nombre de rappels sur les limites de cette liberté, en particulier « le respect des autres droits fondamentaux tels que le droit de propriété dont découle le droit d’auteur » et la rejette, soulignant qu’« aucune circonstance ne justifie que Jeff Koons, qui occupe lui-même une toute première place sur le marché de l’art, se soit abstenu de rechercher qui était l’auteur de la photographie dont il entendait s’inspirer, afin d’obtenir son autorisation ».

La Cour confirme donc le jugement et alourdit même les condamnations financières.

Commentaire

S’il n’est pas révolutionnaire, cet arrêt est bien motivé et didactique. L’éclairage médiatique que va lui conférer la personnalité du contrefacteur, le grand méchant loup de cette affaire, constitue un rappel bienvenu des règles en matière de droits d’auteur.

Cliquez ici pour le texte complet de l’arrêt Naf-Naf

Equipe FLASH

Guillaume Marchais – Tanguy de Haan – Stève Félix – Charlotte Myers

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