Flash APRAM n° 377 – Mauvaise foi pour dépôt réitéré

Tribunal UE, 21 avril 2021, T-663/19, EU:T:2020:1044, Hasbro, Inc. / EUIPO – Kreativni Događaji d.o.o. (MONOPOLY)

Chers Amis,

Nombreuses sont les entreprises qui redéposent leurs marques, à quelques années d’intervalle, souvent dans le but plus ou moins inavoué de pouvoir invoquer, lors d’une procédure d’opposition, une marque enregistrée depuis moins de cinq ans et, ainsi, se dispenser de devoir fournir de preuves d’usage …

Le Tribunal de l’Union européenne, statuant en chambre élargie, vient mettre un sérieux frein à une telle pratique, car il juge qu’un dépôt réitéré, bien que n’étant pas interdit en soi, peut être annulé pour cause de « mauvaise foi ».

En l’espèce, l’affaire concerne la marque MONOPOLY. Tout le monde connaît ce jeu de plateau à la gloire du capitalisme, rendant, assez rapidement au cours de la partie, les riches toujours plus riches et les autres de pauvres à ruinés. Ce jeu est édité par la société Hasbro.

En 2011, Hasbro obtient un enregistrement pour la marque verbale MONOPOLY, couvrant de très nombreux produits en classes 9 (appareils divers, disques, extincteurs, jeux électroniques, logiciels informatiques, etc.), 16 (papeterie) et 28 (jeux et jouets, articles de sport, machines de jeux) et des services en classe 41 (éducation, formation, divertissement, programmes télévisés, etc.). Or, de très nombreux produits et services dans cette liste étaient déjà couverts par des enregistrements antérieurs de la marque MONOPOLY, mais datant de 1998, 2009 ou 2010.

La société croate Kreativni Događaji attaque le dernier enregistrement (de 2011) en nullité. Elle soutient que Hasbro était de mauvaise foi au motif que le dépôt réitéré de la marque visait à contourner l’obligation de prouver l’usage sérieux dans le cadre de procédures d’opposition. Dans au moins deux procédures d’opposition contre des tiers, Hasbro avait eu gain de cause en se fondant sur cet enregistrement de 2011 mais sans devoir fournir de preuves de l’usage.

Au cours de la procédure devant l’EUIPO, Hasbro a admis, et même soutenu, que l’un des avantages justifiant le dépôt de la marque contestée reposait sur le fait de ne pas avoir à apporter la preuve de l’usage sérieux de cette marque dans le cadre d’une procédure d’opposition (points 63 et 70). La chambre de recours en conclut que l’intention de Hasbro « était bien de tirer profit des règles du droit des marques de l’Union européenne en créant artificiellement une situation dans laquelle elle n’aurait pas à prouver l’usage sérieux […] » (point 65). La chambre de recours annule donc la marque contestée pour tous les produits et services identiques à ceux couverts par les marques antérieures de Hasbro.

Le Tribunal rejette intégralement et sévèrement le recours de Hasbro.

Le Tribunal rappelle que l’objectif d’intérêt général de l’annulation d’une marque pour cause de mauvaise foi « consiste à faire échec aux enregistrements de marque abusifs » (point 37).

Dans le cadre d’une procédure en annulation, il appartient au titulaire de la marque attaquée « de fournir des explications plausibles concernant les objectifs et la logique commerciale poursuivis par la demande d’enregistrement » lorsque l’EUIPO constate que les circonstances de l’espèce sont susceptibles « de conduire au renversement de la présomption de bonne foi dont bénéficie le titulaire » (point 43).

Il n’est justifié, rappelle le Tribunal, de protéger les marques de l’UE enregistrées « que dans la mesure où ces marques sont effectivement utilisées » (point 50). « L’inscription au registre de l’EUIPO ne saurait être assimilée à un dépôt stratégique et statique conférant à un détenteur inactif un monopole légal d’une durée indéterminée. Au contraire, ledit registre devrait refléter fidèlement les indications que les entreprises utilisent effectivement sur le marché » (point 54).

Le Tribunal juge que, par son dépôt réitéré, Hasbro a « délibérément visé à contourner une règle fondamentale du droit des marques de l’Union européenne, à savoir celle relative à la preuve de l’usage, pour en tirer profit au détriment de l’équilibre du régime des marques de l’Union européenne établi par le législateur de l’Union » (point 69). Dès lors que telle était l’intention de Hasbro, elle était de mauvaise foi, ce qui justifie l’annulation de la marque contestée pour tous les produits et services identiques à ceux couverts par les marques antérieures.

Hasbro avait invoqué que sa pratique était tout à fait courante et largement acceptée en pratique. Le Tribunal rejette sévèrement l’argument et souligne que « le simple fait que d’autres entreprises puissent recourir à une certaine stratégie de dépôt ne rend pas nécessairement cette stratégie légale et acceptable » (point 94).

Bref commentaire

En janvier 2020, la Cour de justice avait déjà jugé dans l’affaire SKY (cfr. Flash APRAM n° 354) que le dépôt d’une marque sans intention de l’utiliser pouvait être constitutif de mauvaise foi. L’arrêt MONOPOLY complète cet enseignement. Il constitue un avertissement à bien réfléchir avant de réitérer des dépôts. Et implicitement, il rappelle toute l’importance d’utiliser sa marque pour les produits et services pour lesquels elle est enregistrée. Il faudra précieusement conserver les preuves de cet usage, car il deviendra plus difficile de contourner l’obligation de fournir ces preuves.

Cliquez ici pour le texte complet de l’arrêt MONOPOLY

Equipe FLASH

Tanguy de Haan – Guillaume Marchais – Stève Félix – Charlotte Myers

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