Flash APRAM n° 388 – Contrefaçon de marque : déposer n’est pas utiliser

Flash APRAM n° 388 – Contrefaçon de marque : déposer n’est pas utiliser

Cour de cassation, ch. comm., 13 octobre 2021, pourvois n° Z 19-20.959 Compagnie méditerranéenne des cafés / Cafés Richard, Technopool et Facotec, et n° E 19-20.504, Wolfberger / Jean Albrecht, Marie Albrecht, Cécile Albrecht, Domaine Albrecht et Les Tulipes Blanches

Chers Amis,

Voici non pas un mais deux arrêts importants rendus le même jour par la chambre commerciale de la Cour de cassation et qui, revenant sur une jurisprudence antérieure de la même Cour, répondent à une question sur laquelle subsistait une interrogation.

Parmi les moyens examinés dans ces deux affaires figurait un moyen commun : le simple dépôt d’une marque, sans usage, constitue-t-il un acte de contrefaçon ?

Dans la première affaire, la Compagnie méditerranéenne des cafés, exerçant sous les noms commerciaux « Cafés Malongo » et « Malongo », est titulaire de la marque verbale XPOD, enregistrée en 2005 et désignant notamment des machines à café. En 2014, la société Technopool dépose des marques semi-figuratives Z POD pour désigner des produits identiques. Sa filiale, la société Facotec, s’apprête à commercialiser, notamment à la société Cafés Richard, une machine à café sous la marque Z POD.

Malongo assigne ses concurrentes notamment en contrefaçon de sa marque XPOD et en annulation des marques Z POD. Le 17 mai 2019, la cour d’appel de Paris annule la marque litigieuse, mais estime que le seul enregistrement n’est pas constitutif d’un acte de contrefaçon en l’absence d’usage dans la vie des affaires. La société Malongo se pourvoit en cassation.

Dans la seconde affaire, à la suite de la cession du fonds de commerce de la société Domaine Lucien Albrecht à la société Wolfberger en 2012, incluant notamment les marques LUCIEN ALBRECHT et WEID pour désigner des boissons alcoolisées, la famille Albrecht, cédante, a déposé les signes JEAN ALBRECHT, LE WEID DE JEAN ALBRECHT et FAMILLE ALBRECHT pour désigner les mêmes produits.

Bien que ces signes aient été refusés à l’enregistrement par l’INPI, la société Wolfberger  assigne en parallèle les déposants pour contrefaçon. Le 3 juillet 2019, la cour d’appel de Colmar rejette cette demande. La société Wolfberger forme, elle aussi, un pourvoi.

Les arrêts du 13 octobre 2021

Les demanderesses en cassation, s’appuyant sur des arrêts antérieurs (Com. 10 juill. 2007, n° 05-18.571 ; Com. 26 nov. 2003, n° 01-11.784; Com. 24 mai 2016, n° 14-17.533.), soutiennent que « le dépôt d’une marque, même non suivi de son enregistrement, est susceptible, en soi, de constituer un acte d’usage non autorisé d’une marque antérieure et, par là même, un acte de contrefaçon ».

Se fondant sur l’arrêt Daimler de la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE, 3 mars 2016, C‑179/15 – cfr. Flash APRAM n° 266), la Cour de cassation va reconsidérer sa position : « la demande d’enregistrement d’un signe en tant que marque, même lorsqu’elle est accueillie, ne caractérise pas un usage pour des produits ou des services […] en l’absence de tout début de commercialisation de produits ou services sous le signe. De même, en pareil cas, aucun risque de confusion dans l’esprit du public et, par conséquent, aucune atteinte à la fonction essentielle d’indication d’origine de la marque, ne sont susceptibles de se produire ».

Les pourvois sont donc rejetés sur ce point.

Commentaire

Ces deux arrêts marquent l’alignement salutaire de la position du juge français sur la jurisprudence européenne et sont, en ce sens, bienvenus.

Ce revirement va également permettre de soulager le juge judiciaire. En effet, une action en contrefaçon dans le cas d’un simple dépôt n’étant plus utile, c’est l’INPI qui, en France, sera sollicité via les procédures d’opposition et d’annulation de marques. A première vue donc, il sera plus simple et plus économique de faire annuler une marque non encore utilisée.

Toutefois, certaines craintes peuvent naître de l’adoption de cette position et il n’est pas certain que la question ne se repose pas un jour.

En effet, le dépôt d’une demande d’enregistrement de marque n’est pas un acte neutre vis-à-vis du marché.

Si désormais le titulaire d’une marque qui dépose sans intention d’usage mais pour bloquer la concurrence ne risque rien (c’est-à-dire ne risque plus d’être poursuivi en justice, avec frais d’avocat, dommages et intérêts – certes faibles – et article 700, mais uniquement une annulation devant l’INPI, sans frais pour lui), la conséquence ne sera-t-elle pas une envolée des dépôts de marques de barrage ? Or pendant cinq ans, les titulaires de telles marques pourront eux-mêmes agir en contrefaçon sans risque de déchéance, et bloquer ainsi le jeu de la concurrence et de la liberté du commerce. Faut-il y voir un possible « trade mark squatting » à l’instar du cyber squatting en matière de noms de domaine, rendu fréquent par l’absence de sanctions financières ?

En tous cas, on ne saurait exclure qu’un dépôt de marque qui serait annulé pour mauvaise foi exonère le déposant de toute responsabilité.

Cliquez ici pour le texte complet des arrêts de la Cour de cassation :

Equipe FLASH

Guillaume Marchais – Tanguy de Haan – Stève Félix – Charlotte Myers

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