Flash APRAM n° 391 – Cession gratuite de droits de PI : céder c’est donner, reprendre c’est annuler

Flash APRAM n° 391 – Cession gratuite de droits de PI : céder c’est donner, reprendre c’est annuler

Tribunal judiciaire de Paris, 8 février 2022, RG 19/14142, M. B.A. / SARL Akis Technology et M. Y D’Z

Chers Amis,

Voici une décision qui présente le grand intérêt d’aborder deux points rarement discutés et jugés, mais qui revêtent pourtant une importance considérable pour tous les praticiens.

Deux particuliers conçoivent des antennes permettant la réception des données des balises placées dans les colliers des chiens de chasse et déposent conjointement une marque de l’Union européenne en 2014 et des dessins ou modèles communautaires en 2015 et 2017.

Ces produits sont distribués par deux sociétés, l’une – liquidée depuis – ayant à son capital les deux co-déposants dont M. Y D’Z qui en est ensuite parti, et l’autre, devenue Akis Technology, dont ce même M. Y D’Z est seul associé et gérant.

Par acte du 13 juillet 2015, la marque et les modèles sont cédés à la société Akis Technology.

M. Y D’Z a par ailleurs concédé un certain nombre de licences sur la marque et les modèles.

M. B.A., l’autre co-déposant de la marque et des modèles, « dénonce » alors la cession des droits de propriété industrielle et assigne les défendeurs en nullité du contrat de cession de la marque et des dessins ou modèles ainsi qu’en contrefaçon de marque et dessins ou modèles.

Le jugement mérite l’attention en ce que, sur le grief de nullité du contrat de cession formulé par le demandeur en raison de la gratuité de la cession, ou plus précisément en raison de l’absence de contrepartie financière (mais aussi de contrepartie de toute autre nature visiblement), le tribunal retient qu’aux « termes de l’article 931 du code civil, tous actes portant donation entre vifs seront passés devant notaires dans la forme ordinaire des contrats ; et il en restera minute, sous peine de nullité ».

Le tribunal poursuit : « Le code de la propriété intellectuelle ne déroge pas à cette condition formelle des donations, et prévoit seulement, s’agissant des marques, que le transfert de leur propriété doit être constaté par écrit ».

Relevant que le contrat « daté du 13 juillet 2015 mais dont la date est manifestement fausse, ne serait-ce que parce qu’y est annexé un certificat établi par l’EUIPO en novembre 2016… » emporte cession de la marque et des modèles concernés « à titre gratuit », il s’agit « par définition d’une donation, non dissimulée et portant sur des droits incorporels ». « L’acte, qui devait donc être passé devant notaire alors qu’il est constant qu’il a été conclu sous seing privé, est nul ».

En outre, « [l]a copropriété de marque et de dessin ou modèle, en l’absence de disposition spéciale, relève du régime de l’indivision, lequel prévoit notamment (article 815-3 du code civil) que seul le ou les indivisaires titulaires d’au moins deux tiers des droits indivis peut effectuer les actes d’administration relatifs aux bien indivis » et « le consentement de tous les indivisaires est requis pour effectuer tout acte qui ne ressortit pas à l’exploitation normale des biens indivis ainsi que les actes de disposition ».

Sans surprise, le tribunal en conclut que « l’usage d’une marque ou d’un modèle ne peut être tenu pour consenti que s’il l’a été par les indivisaires représentant au moins les deux tiers des droits sur le titre », ce qui n’est pas le cas en l’espèce.

Commentaire

Ce jugement pourra jeter un certain trouble chez les praticiens du droit de la propriété intellectuelle, essentiellement sur le premier point, tant les cessions de droits de propriété intellectuelle sans contrepartie et/ou à titre gratuit sont fréquentes en pratique. S’achemine-t-on vers un alourdissement et un renchérissement de ces cessions en les soumettant désormais au régime des donations devant notaire ?

Et qu’en est-il en cas de contrepartie financière réelle mais symbolique (1 euro par exemple), ou de simple remboursement au cédant des taxes exposées pour le dépôt ? Faudra- t-il passer devant notaire pour éviter la requalification en donation déguisée et la nullité ? Ou augmenter les contreparties, mais dans quelle mesure ?

Un appel, s’il est interjeté, permettra peut-être de faire progresser le débat, mais d’ici-là, la prudence s’impose.

Cliquez ici pour le texte complet du jugement

Equipe FLASH

Guillaume Marchais – Tanguy de Haan – Stève Félix – Benjamin Mouche

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