TUE, 30 mars 2022, T‑264/21, EU:T:2022:193, Etablissement Amra / EUIPO et eXpresio, estudio creativo, SL
Chers Amis,
C’est par un arrêt détaillé et particulièrement didactique que le Tribunal de l’Union européenne vient donner raison à une requérante opiniâtre, après plusieurs rebondissements, mais surtout éclairer l’examen qui doit être celui de la fonctionnalité d’une marque de forme au sens de l’article 7, § 1er, e, ii, du Règlement 2017/1001.
En 2017, la société espagnole eXpresio, estudio creativo, SL dépose en classe 28 une demande d’enregistrement de marque de l’Union européenne consistant en six vues d’une botte de rebond.
La requérante, la société luxembourgeoise Amra, forme opposition sur la base de sa marque de l’Union européenne antérieure, elle-même consistant en des vues d’une botte de rebond.
Cette dernière, victime en parallèle d’une action en annulation intentée en 2015 par la société espagnole, est finalement annulée, rendant la procédure d’opposition non fondée, mais Amra sort sa botte secrète et agit alors en annulation de la marque tridimensionnelle de eXpresio, se basant sur les mêmes motifs que ceux utilisés contre sa propre marque par son concurrent espagnol.
La division d’annulation puis la chambre de recours de l’EUIPO lui donnent tort, mais Amra, droite dans ses bottes, persiste et forme un recours, articulé autour de quatre moyens, dont le plus important est celui tiré d’une prétendue violation de l’article 7, § 1er, e, ii, qui refuse à l’enregistrement les signes constitués exclusivement par la forme d’un produit.
La question examinée par le Tribunal est celle de la détermination des « caractéristiques essentielles » de la marque critiquée, l’Office accordant en l’espèce un rôle important aux éléments verbaux de la marque. Rappelant que le motif de refus de l’article 7, § 1er, e, ii, doit être interprété à la lumière de l’intérêt qui le sous-tend, à savoir empêcher que le droit des marques aboutisse à conférer à une entreprise un monopole sur des solutions techniques ou des caractéristiques utilitaires d’un produit et que soit ainsi réduite considérablement, voire perpétuellement, la possibilité pour les concurrents d’utiliser la même solution technique, le Tribunal bondit sur l’occasion de définir la notion de « caractéristiques essentielles ».
Il met en lumière une « prémisse erronée » de la part de l’Office (point 39), qui a considéré que le caractère essentiel des caractéristiques devait être apprécié du point de vue de sa perception par le consommateur moyen.
Le Tribunal rappelle que « le consommateur moyen peut ne pas disposer des connaissances techniques nécessaires à l’appréciation des caractéristiques essentielles d’une forme » (contrairement à l’utilisateur averti du droit des dessins ou modèles). Il établit une claire distinction entre caractère distinctif et appréciation des caractéristiques essentielles d’une marque tridimensionnelle (point 44) et rappelle comment doit se dérouler l’examen de ces caractéristiques : « tous les éléments qui composent la forme de la botte de rebond (…) ont une fonction technique nécessaire pour s’assurer qu’une personne rebondisse de manière équilibrée, contrôlée et stable » et se demande si les éléments verbaux et figuratifs également présents dans la marque contestée « jouent ou non un rôle suffisamment important dans la forme du produit nécessaire à l’obtention d’un résultat ».
En l’espèce, le Tribunal se démarque de l’Office et considère que le nom « aerower » est mineur, écrit en caractères de toute petite taille et uniquement sur certaines des vues de la botte, tandis que le signe figuratif circulaire est « abstrait et banal », et pas « visuellement accrocheur ».
De cet examen, le Tribunal conclut que « les éléments verbaux et figuratif présents dans la marque contestée n’étant pas essentiels, il n’y a pas lieu de se prononcer sur leur fonctionnalité ».
Fort logiquement, les autres éléments étant purement fonctionnels et la forme de la botte étant « la partie la plus importante dans l’impression globale produite par le signe » (point 63), le Tribunal annule la décision de l’Office, sans qu’il soit nécessaire d’examiner les autres moyens soulevés par la requérante, puisqu’il « suffit que l’un des motifs absolus de refus s’applique pour qu’un signe doive être refusé à l’enregistrement » (point 66).
Observation
Cette décision ne marque certes pas un grand bond en avant dans la jurisprudence, mais loin de botter en touche, elle a le mérite de rappeler très clairement que, lorsqu’une marque tridimensionnelle a pour partie la plus importante sa forme et que certains autres aspects verbaux ou figuratifs sont mineurs, c’est cette forme, et seulement elle, qu’il convient d’examiner au visa de l’article 7, § 1er, e, ii, pour apprécier son caractère exclusivement fonctionnel ou non.
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Equipe FLASH
Guillaume Marchais – Tanguy de Haan – Stève Félix – Benjamin Mouche