Cour d’appel de Paris, 6 avril 2022, Pôle 5 – Chambre 1, RG 20/17307, Rimowa GmbH c/ Intersod
Chers Amis,
C’est à l’occasion d’un arrêt particulièrement motivé et éclairant que la cour d’appel de Paris vient de réaffirmer le principe de la validité d’un procès-verbal de constat placé sous le contrôle d’un huissier de justice, même lorsque l’achat est effectué par le stagiaire d’un cabinet d’avocats.
L’on n’y croyait plus ! Nous nous souvenons tous du terrifiant arrêt rendu par la Cour de cassation le 25 janvier 2017 (pourvoi n° 15-25210) considérant que le stagiaire d’un cabinet d’avocats ayant assisté l’huissier au cours des opérations de constat d’achat n’était « pas indépendant » de la partie requérante, ce qui portait, selon la Cour, atteinte au droit à un procès équitable au sens de l’article 6, § 1er, de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales ainsi qu’au principe de loyauté dans l’administration de la preuve.
Cette décision avait inquiété les praticiens dont les procédures pendantes (requêtes en saisie-contrefaçon puis assignation au fond) reposaient de manière quasi-systématique sur ce premier acte, réalisé fréquemment avec le concours d’un stagiaire.
C’est le cas qui était soumis à la cour d’appel en matière de droits d’auteur.
En l’espèce, la société Rimowa avait fait dresser le 4 mai 2016 par ministère d’huissier un procès-verbal de constat d’achat, lequel avait été réalisé par un stagiaire qui n’avait pas la qualité d’élève avocat.
En première instance, la défenderesse avait soutenu avec succès que les conditions de réalisation du constant d’achat n’étaient pas garantes d’un procès équitable, puisque le tiers acheteur était un stagiaire du cabinet d’avocats, conseil de Rimowa, qui ne pouvait donc pas être indépendant. Ce moyen de défense avait conduit le tribunal judiciaire de Paris à déclarer nul le procès-verbal de constat et à débouter la demanderesse de l’ensemble de ses demandes.
Saisis de cette même question, les juges d’appel rejettent ce moyen en se fondant sur le considérant 20 et l’article 3 de la directive (CE) n° 2004/48 du 29 avril 2004 en combinaison avec le principe de proportionnalité qui « impose au juge de s’assurer qu’il existe un juste équilibre entre des droits fondamentaux opposés, en l’occurrence la loyauté des preuves dont dépend le respect du droit au procès équitable, d’une part, et le droit de propriété des titulaires de droits de propriété intellectuelle qui doit leur permettre de réunir des preuves, dans des conditions qui ne soient pas inutilement complexes ou coûteuses, afin d’assurer le respect de ces droits, d’autre part. »
L’affaire est dans le sac : la cour constate que la défenderesse ne démontre aucun stratagème qui aurait été mis en place par Rimowa et/ou par l’huissier et/ou par le tiers acheteur, susceptible d’affecter ses droits à un procès équitable et estime que décider autrement reviendrait à priver inutilement Rimowa de la possibilité d’obtenir de manière simple des éléments susceptibles de constituer la preuve de la matérialité des agissements contrefaisants.
Commentaire
Cet arrêt vient conforter la position des titulaires de droits quant aux moyens de preuve mis à leur disposition pour prouver efficacement – et sans risque – la matérialité des actes de contrefaçon et/ou de concurrence déloyale et parasitaire.
Si la Cour de cassation devait être saisie de la question, espérons qu’elle revienne sur sa position jugée trop sévère par le barreau et les juridictions de fond, ou, à tout le moins, qu’elle interroge la Cour de justice quant à la compatibilité de sa jurisprudence de 2017 avec la directive 2004/48 sur laquelle s’appuie en particulier la cour d’appel.
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Equipe FLASH
Tanguy de Haan – Stève Félix – Benjamin Mouche – Guillaume Marchais