Flash APRAM n° 399 – Rendre hommage n’est pas malhonnête

Tribunal de l’UE, 6 juillet 2022, T-250/21, EU:T:2022:430, Ladislav Zdút / EUIPO – Isabel Nehera, Jean-Henri Nehera et Natacha Sehnal (NEHERA)

Chers Amis,

Au début des années ’30, Jan Nehera créa à Prostĕjov (aujourd’hui en République tchèque) une entreprise sous son nom patronymique qui fabriquait et commercialisait des vêtements de prêt-à-porter pour femmes, hommes et enfants sous la marque NEHERA, laquelle fut déposée en Tchécoslovaquie en 1936. Grâce à des méthodes modernes de management et à un usage intensif de la publicité, l’entreprise Nehera connut un réel succès en Tchécoslovaquie et à l’étranger. A la veille de la Seconde Guerre mondiale, l’entreprise comptait près de 1000 salariés et exploitait un réseau de plus de 130 boutiques de détail en Europe, aux Etats-Unis et en Afrique. Pendant la guerre, l’entreprise fut contrôlée par l’occupant allemand, puis cessa ses activités en 1946 lorsqu’elle fut nationalisée et que sa propriété fut transférée à l’État tchécoslovaque. Jan Nehera émigra au Maroc, où il exploita deux magasins et où il mourut en 1958.

M. Nehera a sans conteste été l’un des plus illustres entrepreneurs tchécoslovaques du secteur du vêtement lors de la « période bénie » précédant la Seconde Guerre mondiale.

En 2006, Ladislav Zdút, un jeune entrepreneur slovaque actif dans le domaine de la publicité et du marketing et sans aucun lien de parenté avec la famille Nehera décide de « relancer » la marque NEHERA. Il dépose une marque tchèque, puis en 2013 une marque de l’Union européenne. En 2014, il commence à présenter des collections de vêtements pour femmes dans des défilés de mode et à les commercialiser sous la marque NEHERA. Il consacre beaucoup d’efforts, de temps et d’argent à faire renaître la renommée de la marque NEHERA et à faire connaître l’histoire, tombée aux oubliettes, de Jan Nehera et de son entreprise. Il ne se présente pas comme l’héritier ou le successeur légal de M. Nehera, mais veut, par son choix de la marque NEHERA, « rendre hommage » au « symbole » qu’incarnait Jan Nehera, « grande figure » de « l’âge d’or de l’industrie textile tchécoslovaque des années ’30 ».

Cependant, en 2019, trois petits-enfants de Jan Nehera introduisent devant l’EUIPO une action en nullité de la marque de l’Union européenne en soutenant qu’elle a été déposée « de mauvaise foi » … La division d’annulation rejette leur action, mais la chambre de recours annule la marque au motif que Jan Nehera était « une célébrité » et que l’ancienne marque tchécoslovaque jouissait encore d’une « certaine renommée résiduelle » et conservait une « valeur historique », que M. Zdút n’ignorait pas puisqu’il y renvoyait dans son récit autour de la marque NEHERA.

Saisi d’un recours introduit par M. Zdút, le Tribunal annule entièrement la décision de l’Office.

Il rappelle qu’en la matière la mauvaise foi s’apprécie à la date du dépôt de la marque attaquée et que la bonne foi est présumée jusqu’à preuve du contraire (point 34). La mauvaise foi suppose « un état d’esprit ou une intention malhonnête » (point 23).

Or, en l’espèce, aucune preuve n’était produite que le nom de Jan Nehera était encore célèbre, en 2013, auprès d’une partie significative du public (point 53). Il ne saurait être question de parasitisme que si le signe jouit « effectivement et actuellement d’une certaine renommée ou d’une certaine célébrité » (point 57).

S’il est certes exact que le nouvel exploitant a cherché à « créer une association » entre, d’une part, son activité et, d’autre part, l’ancienne marque tchécoslovaque et un entrepreneur autrefois célèbre, le Tribunal n’y voit pas d’intention malhonnête. Au contraire, il « fait revivre » l’ancienne marque, sur laquelle tous les droits étaient éteints depuis plusieurs décennies. En soulignant, dans sa communication, la longue interruption et en ne se présentant pas comme un descendant de Jan Nehera, le déposant n’a pas créé de « fausse relation d’héritage », comme l’alléguaient à tort les petits-enfants.

Contrairement à ce qu’a décidé l’Office, le Tribunal reconnaît que M. Zdút « a déployé un effort commercial propre afin de faire revivre l’image de [la] marque et de restaurer ainsi, à ses propres frais, ladite renommée » (point 66). « Dans ces conditions, le seul fait d’avoir fait référence, aux fins de la promotion de la marque contestée, à l’image historique de M. Jan Nehera et de l’ancienne marque tchécoslovaque n’apparaît pas contraire aux usages honnêtes en matière industrielle ou commerciales » (point 66).

Commentaire

L’interprétation « extensive » de la notion de mauvaise foi faite par l’Office est censurée par le Tribunal. Etablir un « lien » ne signifie pas nécessairement être de mauvaise foi. Il est encore permis d’entreprendre sérieusement à ses frais en « rendant hommage », sans être qualifié de parasite.

Cliquez ici pour le texte complet de l’arrêt NEHERA

Equipe FLASH

Tanguy de Haan – Guillaume Marchais – Stève Félix – Benjamin Mouche

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