Tribunal UE, 7 septembre 2022, T-627/21, EU:T:2022:530, Segimerus Ltd / EUIPO
Chers Amis,
Voici un arrêt intéressant rendu par le Tribunal qui vient confirmer la possible sanction de comportements de ceux qu’on appelle des « trade mark trolls » sur le fondement de la mauvaise foi.
Rappelons que, dérivé du phénomène hélas récurrent des « patent trolls » consistant à déposer des brevets sans aucune intention de les utiliser mais uniquement de les opposer aux fins d’en tirer profit, le phénomène des « trade mark trolls » est une réalité.
La jurisprudence européenne a eu l’occasion de s’y pencher en 2016 avec l’arrêt LUCEO (T‑82/14, EU:T:2016:396). L’arrêt du 7 septembre 2022 est particulièrement clair et didactique sur le sujet.
Une demande de marque européenne MONSOON est déposée le 5 décembre 2011 par une société Copernicus EOOD en revendiquant la priorité d’un dépôt allemand, en classes 12, 28 et 36.
S’ensuivent plusieurs transferts de propriété de cette marque, enregistrée en 2017, au profit de diverses sociétés, toutes représentées par le même agent.
La société Segimerus Ltd, dernier cessionnaire inscrit, attaque en 2018 la société allemande Karsten Manufacturing Corp., utilisant des marques MONSOON ou comportant ce terme pour des articles de golf (et titulaire de marques européennes postérieures HOOFER MONSOON, MONSOON et PIONEER MONSOON enregistrées en classe 28).
Elle obtient en référé en Allemagne l’interdiction d’utiliser ces marques, par la voie d’ordonnances toutefois rapidement annulées pour procédure abusive (déjà).
Karsten Manufacturing Corp intente alors une action en nullité de la marque UE MONSOON devant l’EUIPO, qui l’accueille tant en première instance qu’au niveau de la chambre de recours, laquelle confirme que « le demandeur de la marque contestée avait été de mauvaise foi lors du dépôt de la demande d’enregistrement de ladite marque au sens de l’article 59, § 1er, b, RMUE.
En bon troll malveillant, Segimerus Ltd persiste et signe devant le Tribunal. Celui-ci, par des motifs très clairs, rappelle (i) que l’un des indices de la mauvaise foi d’un dépôt peut être l’absence de toute intention d’utiliser la marque demandée et (ii) que « l’intention d’empêcher la commercialisation d’un produit peut, dans certaines circonstances, caractériser la mauvaise foi », elle aussi (point 27).
Sa jurisprudence rappelée, le Tribunal considère en l’espèce la mauvaise foi du déposant caractérisée par plusieurs circonstances. Il reproche tout d’abord à la société déposante « une chaîne de demandes d’enregistrement de marques nationales, qui ont été déposées tous les six mois depuis 2006, en alternance en Allemagne et en Autriche, pour le même signe que la marque contestée », toutes ces demandes ayant été « successivement considérées comme non avenues en raison du non- paiement des taxes de dépôt » (point 35).
Il ajoute que le seul but de ces dépôts successifs était de créer artificiellement de nouveaux délais de priorité à chaque dépôt : « un tel comportement, de la part du demandeur de la marque contestée, visait à lui conférer une position de blocage en monopolisant le signe MONSOON et en contournant la période de six mois prévue à l’article 34, § 1er, RMUE » (point 37).
Le Tribunal conclut de façon limpide : « La chambre de recours a pu conclure que le comportement adopté par le demandeur de la marque contestée relevait d’une stratégie de dépôt abusive, laquelle n’est pas sans rappeler la figure de l’“abus de droit”, qui est caractérisée par les circonstances selon lesquelles, premièrement, malgré un respect formel des conditions prévues par la réglementation de l’Union, l’objectif poursuivi par celle-ci n’est pas atteint et, deuxièmement, il existe une volonté d’obtenir un avantage résultant de ladite réglementation en créant artificiellement les conditions requises pour son obtention (voir arrêt [LUCEO], point 52 et jurisprudence citée). Partant, les démarches du représentant de la requérante ne peuvent pas être considérés comme un développement de la marque contestée (voir, en ce sens, arrêt [LUCEO], point 88). La chambre de recours a donc pu conclure, à juste titre, que de telles démarches, qui sont contraires aux usages honnêtes en matière industrielle et commerciale conformément à la jurisprudence rappelée au point 30 ci-dessus, étaient constitutives de mauvaise foi » (point 37).
Commentaire
Cet arrêt, qui s’inscrit dans une jurisprudence de plus en plus fournie sur les dépôts de mauvaise foi (cfr. Flash APRAM n° 381) a le mérite, certes dans une espèce presque caricaturale, de rappeler un certain nombre de principes régissant le droit des marques de l’Union européenne et de fournir aux victimes de trolls les moyens de sanctionner leurs pratiques malfaisantes.
La question d’une éventuelle responsabilité des agents de ces marques peut également se poser…
Cliquez ici pour le texte complet de l’arrêt MONSOON
Cliquez ici pour le Flash APRAM n° 381
Equipe FLASH
Guillaume Marchais – Tanguy de Haan – Stève Felix – Benjamin Mouche