EUIPO, 5e Chambre de recours, 5 décembre 2022, R 1305/2022-5, Empreinte / EUIPO
Tribunal de l’UE 14 décembre 2022, T-553/21, EU:T:2022:813, Agrarfrost GmbH & Co. KG / EUIPO – McCain GmbH
Chers Amis,
Voici un numéro double du Flash pour terminer l’année en beauté, consacré à deux décisions épicuriennes qui viennent éclairer d’un jour plutôt favorable la difficile question du caractère distinctif des marques tridimensionnelles, généralement peu aimées des Offices.
La première affaire n’émane certes « que » d’une chambre de recours mais semble importante, surtout à la lumière de la seconde décision ci-après. Elle concerne la forme très particulière d’un tire-bouchon, dont la poignée est en forme d’os (iliaque) selon son créateur, et déposée en tant que marque pour (notamment) des tire-bouchons.
On pourra observer que cette marque a été déposée sous forme de « vue dynamique », permettant de voir en rotation l’ensemble des vues du tire-bouchon.
L’EUIPO refuse dans un premier temps de l’enregistrer pour défaut de caractère distinctif. Il considère que cette forme ne diverge pas sensiblement des formes sur le marché concerné.
Sur recours, la chambre se livre à un examen minutieux de la demande d’enregistrement contestée et retient que c’est bien l’ensemble des vues du fichier .stl qu’il faut prendre en compte.
Au terme d’un examen approfondi et jusqu’à plus soif de l’état des nombreuses formes de tire-bouchons existant déjà sur le marché, elle retient que la poignée à elle seule est parfaitement distinctive. Se référant à l’arrêt Guerlain concernant une forme de rouge à lèvres (T‑488/20 EU:T:2021:443 – FLASH n° 382), la chambre conclut que la marque demandée s’écarte « de manière significative des formes disponibles sur le marché et constitue une indication d’origine » (point 24) et que « le signe demandé ne tombe pas sous le coup de l’article 7, § 1er, b, RMUE » (point 27).
Dans la seconde affaire, concernant toujours l’alimentation, il était question d’une marque tridimensionnelle de l’UE déposée en 2000 par McCain pour des « croquettes de pommes de terre précuites » et consistant en la forme de ces croquettes, à savoir un visage souriant du type smiley.
Une marque analogue était déposée en France en 2019 par McCain, sans doute en raison de l’action en déchéance intentée contre la marque de l’UE. Par arrêt du 11 février 2022, la cour d’appel de Paris confirmait le refus d’enregistrement de ce dépôt français émis par l’INPI, considérant que ce signe n’avait pas de caractère distinctif intrinsèque – le consommateur n’étant pas enclin à voir dans cette forme un indicateur de l’origine commerciale du produit – ni acquis par l’usage.
En parallèle, Agrarfrost GmbH & Co. KG avait donc introduit en 2018 auprès de l’EUIPO une action en déchéance faute d’usage à l’encontre de la marque tridimensionnelle de l’UE de 2000.
Or, si le litige porte sur la déchéance, rejetée par l’Office et en dernier lieu par le Tribunal qui confirme un usage sérieux de la marque tridimensionnelle, l’arrêt est également intéressant parce qu’à cette occasion, le Tribunal cherche logiquement à déterminer si cette forme est perçue par le public comme une indication de l’origine commerciale des produits.
Selon le Tribunal, « l’appréciation relative à l’usage de la marque contestée en tant que marque […] dépend de la question de savoir si cette marque est perçue par le public pertinent en tant qu’indication de l’origine commerciale » (point 24). « Pour parvenir à la conclusion que la marque contestée a effectivement été utilisée conformément à sa fonction essentielle, la preuve de son usage doit se matérialiser par des éléments qui permettent de conclure de façon non équivoque que le consommateur est en mesure d’associer la forme tridimensionnelle des produits […] à une entreprise déterminée » (point 28).
Le Tribunal trouve ces éléments, sous la forme de campagnes publicitaires importantes dans plusieurs Etats membres mettant clairement en avant la forme des produits et retient que le consommateur a ainsi « été confronté à la marque contestée d’une manière intense qui lui a permis d’établir facilement un lien avec le producteur à partir du visage souriant » (point 35).
Ainsi, à l’occasion d’un litige portant sur l’usage ou l’absence d’usage, le Tribunal se penche donc avec une certaine bienveillance, qui tranche quelque peu avec la difficulté habituelle d’obtenir l’enregistrement de telles marques, sur la question de l’usage à titre de marque d’un signe tridimensionnel.
Commentaire
Doit-on voir dans ces deux décisions un signe de détente sur la question délicate de la protection des marques tridimensionnelles, peut-être amorcée par l’arrêt Guerlain précité, ou resteront-elles isolées et nous laisseront-elles sur notre faim ?
On peut en tout état de cause se réjouir que ce type de marques soient enregistrées, car il s’agit de véritables armes de lutte contre la contrefaçon.
En pratique, le choix d’un dépôt de marque tridimensionnelle sous forme de fichier dynamique montrant l’ensemble des vues a peut-être pu contribuer à reconnaître plus facilement un caractère distinctif.
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Cliquez ici pour le texte complet de l’arrêt McCain
Equipe FLASH
Tanguy de Haan – Stève Félix – Benjamin Mouche