Flash APRAM n° 420 – Dessins et modèles : protection des consommables

Tribunal de l’UE, 22 mars 2023, T‑617/21, EU:T:2023:152, B&Bartoni spol. s r.o. / EUIPO – Hypertherm, Inc. (électrode de torche à souder)

Chers Amis,

Pour être protégée par le droit des dessins ou modèles, une pièce qui est incorporée dans un produit complexe doit rester « visible lors de l’utilisation normale » de ce produit complexe. Une telle utilisation par l’utilisateur final exclut l’entretien, le service et la réparation. La Cour de justice a récemment interprété cette notion à l’occasion d’une affaire portant sur le dessin du dessous d’une selle de vélo (Flash APRAM n° 418).

Mais qu’en est-il des consommables, c’est-à-dire ces produits qui sont fréquemment remplacés par l’utilisateur (ex. cartouches pour une imprimante, sacs d’aspirateur, etc.) ? S’agit-il de pièces faisant partie d’un produit complexe, auquel cas elles ne pourront être protégées que si ces pièces demeurent visibles lors de l’utilisation normale du produit complexe ? Ou peut-il s’agir de « produits distincts » pour lesquels le critère de « visibilité » n’est alors pas exigé ?

Cette question n’avait pas encore été tranchée par les juridictions de l’Union. Statuant en chambre élargie, le Tribunal de l’Union européenne vient nous éclairer, grâce à un modèle d’électrode à insérer dans une torche à souder.

Il est constant qu’une torche à souder ne saurait fonctionner sans qu’une électrode n’y soit installée. Dès qu’elle est installée dans le corps de la torche, l’électrode n’est plus visible.

Le Tribunal juge qu’une « pièce d’un produit complexe » vise « les multiples composants conçus pour être assemblés en un article industriel ou artisanal complexe, qui peuvent être remplacés de manière à permettre le démontage et le remontage d’un tel article, en l’absence desquels le produit complexe ne pourrait faire l’objet d’une utilisation normale » (point 26).

Quant à la question de savoir si un produit répond à la notion de « pièce d’un produit complexe », elle doit être évaluée « au cas par cas, en fonction d’un faisceau d’indices pertinents » (point 27). Tout est donc une question d’espèce.

En l’espèce, le Tribunal considère les indices factuels suivants :

  • l’électrode n’est pas une partie durable de la torche et n’est pas fermement rattachée à la torche, contrairement à la gâchette ou à la poignée qui en constituent des parties essentielles (points 30 et 35) ;
  • l’électrode a une durée de vie relativement courte (entre 2 et 5 heures), et doit donc être achetée et régulièrement remplacée par l’utilisateur final (points 30 et 35) ;
  • le produit est spécifiquement conçu pour être remplacé régulièrement et de manière simple par l’utilisateur final (point 47) ;
  • le remplacement facile ne nécessite ni le démontage ni le remontage de la torche (points 36 et 47) ;
  • puisque l’utilisateur final achète et remplace régulièrement l’électrode, il est en mesure de percevoir et d’apprécier ses caractéristiques, indépendamment de la question de savoir si l’électrode reste visible après avoir été installée dans la torche (point 37) ;
  • lors de l’achat d’une torche sans électrode ou lorsque celle-ci est extraite de la torche, l’utilisateur final ne percevra pas la torche comme étant cassée ou incomplète (point 56) ;
  • l’électrode fait couramment l’objet d’une publicité et d’une vente séparément de la torche (point 59) ;
  • l’utilisateur final peut utiliser l’électrode en cause avec différentes torches, pouvant même provenir de différentes entreprises fabriquant des torches (point 66).

En s’appuyant sur ce faisceau d’indices pertinents, le Tribunal conclut que l’électrode en cause constitue « un produit distinct » et non une pièce d’un produit complexe. Il s’agit donc d’un consommable protégeable par le droit des dessins et modèles.

Commentaire

Puisqu’en l’espèce, le consommable n’est pas une pièce d’un produit complexe, l’exigence de visibilité de cette pièce lors de l’utilisation du produit complexe n’est donc pas requise. Pour être protégée par le droit des dessins et modèles, il suffit que cette pièce soit nouvelle et présente un caractère individuel et ne soit pas exclusivement technique (ce qui n’était pas contesté).

L’arrêt ne règle pas le sort de tous les consommables de manière générale et abstraite. Il enseigne qu’une analyse « au cas par cas » s’impose, mais donne cependant des éléments intéressants d’indices à prendre en considération dans une telle analyse.

Cliquez ici pour le texte complet de l’arrêt électrode de torche à souder

Equipe FLASH

Guillaume Marchais – Stève Félix – Benjamin Mouche

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