Tribunal de l’UE, 24 mai 2023, T‑68/22, EU:T:2023:287, Granini France / EUIPO – Josef Pichler
Chers Amis,
Pour accompagner sa récente série d’arrêts fromagers, le Tribunal de l’UE nous sert une affaire qui interroge sur la similitude entre boissons alcooliques et boissons non alcooliques.
En l’espèce, une demande d’enregistrement de marque européenne JORO a été déposée en classe 33 visant les produits suivants :
Apéritifs à base de liqueurs distillées ; apéritifs à base de liqueurs ; liqueur de ginseng ; alcools forts japonais aromatisés aux extraits de prunes d’Asie ; liqueur de ginseng rouge ; liqueur d’orge décortiqué ; liqueur tonique aromatisée aux extraits de prunes japonaises [umeshu] ; mélanges alcoolisés pour cocktails ; cocktails alcoolisés contenant du lait ; cocktails alcoolisés sous forme de gélatines réfrigérées ; cocktails de fruits alcoolisés ; boissons alcoolisées contenant des fruits ; boissons alcoolisées à base de thé ; boissons alcoolisées prémélangées autres qu’à base de bière ; boissons alcooliques prémélangées ; apéritifs à base de vin ; vins de raisins japonais sucrés aux extraits de ginseng et écorces de quinquina ; vin de framboises noires [bokbunjaju] ; boissons alcoolisées de fruits ; boisson à base de vin et de jus de fruits ; extraits de fruits avec alcool.
La société Granini France s’est opposée en faisant valoir un risque de confusion avec sa marque française antérieure JOKO enregistrée en classe 32 pour les produits non alcooliques suivants :
Jus de fruits et jus de légumes (boissons), boissons à base de fruits et boissons à base de légumes, cocktails de fruits et cocktails de légumes (boissons), boissons à base d’extraits de fruits et boissons à base d’extraits de légumes, nectars et autres boissons non alcoolisées à base de fruits ou de légumes ; limonades, sodas ; sirops et autres préparations pour la préparation de boissons ; boissons sans alcool.
Le libellé précis importe.
En effet, la division d’opposition et la chambre de recours de l’EUIPO rejettent l’opposition en considérant que les produits n’étaient pas similaires dès lors que les consommateurs procéderont à la distinction entre les boissons alcooliques et les boissons non alcooliques en raison de la seule présence ou absence d’alcool. Cela signifie que la nature seule du produit (alcoolique ou non alcoolique) est suffisante en soi pour conclure à la dissimilarité des produits.
Or, sur recours, le Tribunal rappelle que pour apprécier la similitude entre les produits, il y a lieu de tenir compte de tous les facteurs pertinents qui caractérisent le rapport entre eux. Ces facteurs incluent, en particulier, leur nature, leur destination, leur utilisation ainsi que leur caractère concurrent ou complémentaire. D’autres facteurs peuvent également être pris en compte, tels que les canaux de distribution des produits concernés (jurisprudence constante).
Ces critères sont indépendants les uns des autres sans que l’on puisse considérer que le facteur lié à la nature des produits soit doté d’une prééminence générale sur les autres facteurs d’appréciation.
La requérante relevait à ce titre que les produits partagent des caractéristiques communes, et notamment leurs ingrédients et un processus de fabrication proche et sont similaires quant à leur destination, leur utilisation, leurs producteurs et leurs canaux de distribution. Elle estime également que ces produits sont concurrents.
S’il est vrai, ainsi qu’il résulte de la jurisprudence, que la distinction entre les boissons alcooliques et non alcooliques est nécessaire, l’importance qu’il convient d’accorder à cette distinction ne saurait permettre de déroger à l’obligation d’effectuer une comparaison des produits en cause sur la base de produits précisément visés aux libellés. Le Tribunal annule donc la décision de l’Office, pour que celui-ci recommence l’examen de la similarité entre les produits tels que libellés ci-dessus.
Commentaire
Considérer qu’il y a similitude ou absence de similitude entre les boissons alcooliques et non alcooliques sur la base de leur seule nature (alcoolique ou non) revient à créer une présomption incompatible avec l’étude multicritères exigée par la jurisprudence bien établie de la Cour de justice.
Bien évidemment, la présence d’alcool dans le produit sera importante dans l’appréciation globale de la similarité, mais le Tribunal refuse toute conclusion automatique lorsque l’on compare ces produits. Compte tenu du mélange des genres, pousser au raisonnement au cas par cas semble important.
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Equipe FLASH
Stève Félix –– Guillaume Marchais – Tanguy de Haan –– Benjamin Mouche