Cour d’appel de Paris, Pôle 5, chambre 2, 26 mai 2023, RG 21/09232, Institut national de l’origine et de la qualité (INAO) et Syndicat général des Vignerons réunis des Côtes du Rhône / SAS Newrhône Millésimes
Chers Amis,
Ces dernières années ont été riches de décisions sanctionnant des atteintes portées, en particulier par des marques, à des indications géographiques, essentiellement des appellations d’origine protégées (AOP) et des indications géographiques protégées (IGP) viticoles, ou de décisions éclairant la nature des atteintes pouvant leur être portées.
Le Comité Champagne est, avec l’INAO, en pointe dans ce combat, mais de nouvelles appellations viticoles françaises sont elles aussi impliquées et font progresser la jurisprudence.
La question centrale est celle de la fameuse « évocation » d’une indication géographique, visée à l’article 103, § 2, b, du règlement (UE) 1308/2013 du 17 décembre 2013 portant organisation commune des marchés agricoles (modifié par le règlement (UE) n° 2021/2117 du 2 décembre 2021) – ou dans une disposition analogue du règlement (UE) n° 2019/787 concernant spécifiquement les spiritueux.
Cette notion large d’évocation, protégeant les indications géographiques bien au-delà du risque de confusion du droit des marques, a été précisée dans, notamment, les décisions Champanillo (CJUE, 9 septembre 2021, Flash APRAM n° 383), Cognac / Cognapea (INPI, 26 août 2022, OP22-0433) et, plus récemment, l’importante décision Côtes-de-Provence / Coeur de Provence (TJ Nanterre, 23 janvier 2023).
C’est au tour des célèbres AOP « Côtes du Rhône » et « Côtes du Rhône Villages », reconnues AOC françaises dès 1937 et 1966 puis AOP européennes à compter de 1973 et 2011 respectivement, de suivre ce courant.
En 2018, la société Newrhône Millésimes dépose deux marques françaises NewRhône, verbale et semi-figurative, et, sentant l’écueil, prend la précaution de ne désigner que des « vins bénéficiant des appellations d’origine protégées “Côtes du Rhône” et “Côtes du Rhône Villages” y compris les Crus des Côtes du Rhône, et des autres appellations d’origine protégées de la Vallée du Rhône » en classe 33.
Les démarches amiables du Syndicat général des Vignerons réunis et de l’INAO visant à obtenir sans faire de vagues le retrait de ces deux marques et la cessation de leur usage n’ayant pas porté leurs fruits, ils assignent Newrhône Millésimes devant le Tribunal judiciaire de Paris, lequel noie le poisson et les déboute dans son jugement du 16 avril 2021 en considérant en particulier que le terme « Rhône » renvoyait au fleuve éponyme et non aux célèbres AOP et que les marques incriminées ne reprenaient qu’une partie de ces AOP.
La cour d’appel infirme la décision, s’appuyant sur la jurisprudence précitée et notamment l’arrêt Champanillo et s’attarde sur la notion centrale d’« évocation », au visa du droit de l’Union, mais aussi de l’article L 711-3 b) et c) du Code de la propriété intellectuelle dans sa version applicable aux faits de l’espèce.
Elle considère ainsi qu’au sein des marques NewRhône le terme « Rhône » constitue « l’élément dominant » des AOP considérées et « sera identifié par le consommateur européen moyen, normalement informé et raisonnablement attentif et avisé comme se rapportant à des vins d’appellation protégée, répondant à des critères définis par un cahier des charges ».
La cour poursuit en relevant que le terme « Rhône » est également l’élément dominant des marques NewRhône, le déposant ayant d’ailleurs lui-même opéré une césure entre « New » et « Rhône » en mettant une majuscule au second terme, ce dont il résulte que ces marques « évoquent dans l’esprit du consommateur européen de référence les appellations d’origine » invoquées.
L’attendu crucial est le suivant : « Un vin conforme à un cahier des charges et bénéficiant d’une appellation d’origine ne peut faire usage de celle-ci que sous sa forme enregistrée, tout autre usage n’étant pas autorisé, qu’il s’agisse d’une imitation ou d’une évocation et que cette imitation ou évocation porte sur l’un ou l’ensemble des composants d’une appellation ».
La défense de l’intimée prend l’eau, la cour annule les deux marques NewRhône.
Commentaire
La notion d’évocation d’une indication géographique progresse d’année en année (et pas seulement en matière vitivinicole, la jurisprudence fromagère n’étant pas en reste) et le Syndicat comme l’INAO, loin de se laisser couler par la décision de première instance, ont bien fait d’insister. La jurisprudence actuelle permet de protéger efficacement les appellations, notamment vitivinicoles, ce qui ne va pas atténuer les conflits avec les marques, lesquelles n’apprécieront peut-être pas cette jurisprudence avec la même saveur.
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Equipe FLASH
Guillaume Marchais – Tanguy de Haan – Stève Félix – Benjamin Mouche